Manic Pixie Dream Bi

Analyse de bar sur Bare: A Pop Opera

Il y a quelque temps, un de mes partenaires m'a fait découvrir "Bare: A Pop Opera", en me donnant un lien vers un canal Youtube, en précisant que l'oeuvre est raciste, misogyne et homophobe. Par curiosité, j'ai écouté la première chanson, et j'ai accroché, donc j'ai regardé aussitôt tout le reste, et je pense que je suis pas 100% d'accord avec son analyse.

Je précise tout de suite que pour analyser l'opéra, je vais devoir largement divulgâcher l'intrigue. Il y a plusieurs enregistrements disponibles sur le web, donc n'hésitez pas à aller en voir un avant de finir l'article.

L'histoire se déroule dans un pensionnat catholique du nom de St. Cecilia's Boarding School. L'un des personnages principaux, Peter, est en couple avec Jason, avec qui il partage sa chambre. L'opéra commence par Peter qui s'endort pendant la messe et a un cauchemar où il est outé et exclu de son école et par sa famille. On découvre ensuite que Jason a une soeur jumelle, Nadia, qui se trouve trop grosse, et qui partage sa chambre avec Ivy. Ivy est dépeinte comme la fille facile du pensionnat, et est poursuivi par Matt, qui est un personnage de nice guy typique.

Le cast principal s'inscrit à une activité théâtre afin de préparer une représentation de Roméo et Juliette. Au dernier moment, Jason et Ivy se retrouve avec les deux rôles principaux, ce qui est du goût de Ivy vu qu'elle cherche à séduire Jason (sans savoir qu'il est en couple avec Peter).

Matt, toujours en train de tenter de séduire Ivy, organise une soirée pour son anniversaire, mais tout le groupe se retrouve à une rave party avec la drogue qui va avec. Puis arrive la soirée d'anniversaire, Peter sous l'effet du cannabis, et Ivy, sous l'effet de l'alcool, tente tout les deux de flirter avec Jason qui décide de partir avec Ivy.

Puis, lors d'une répétition, Matt traite Jason de tapette (faggot dans la chanson Reputation Stain'), et alors que Peter veut rentrer chez lui pour les vacances et demande à Jason de venir avec lui pour faire son coming out à sa mère, Jason rompt avec lui. Puis il couche avec Ivy, et l'acte 1 se termine.

L'acte 2 commence comme le premier par un rêve de Peter. Cette fois ci, il imagine son mariage avec Jason, qui devient le mariage de Jason et Ivy. Il se réveille, et Ivy annonce à Jason qu'elle l'aime vraiment, qui prends conscience qu'il aime Peter, donc rompt avec Ivy. Plot twist, Ivy est enceinte suite à leur dernier et unique coït, et Jason, perdu dans tout ce qui lui arrive, va voir un prêtre. Le prêtre, sans surprise, va dire "lol, nope", et Jason prends une dose fatale de GHB durant la représentation, et meurt sur scène.

Et l'opéra se termine avec les 3 personnages principaux (Nadia, Ivy et Peter) qui se demande ce qu'ils auraient pu faire.

Et c'est tout pour ce résumé rapide. Je précise rapide car il y a des passages que j'ai complètement occulté pour des questions de brièvetés, comme par exemple, le rôle de la mère de Jason et Nadia, celui de Soeur Chantelle, et des personnages mineurs comme Diane ou Lucas.

Et je vais donc revenir rapidement sur les 3 points, à savoir l'homophobie, la racisme et la misogynie.

Je vais commencer par le racisme, parce que c'est à mon sens le plus simple, mais avant, je vais devoir quand même poser quelques bases sur les trous de mon raisonnement. Je n'ai pas réussi à me procurer une version pdf de l'oeuvre, donc je suis obligé de me baser sur une interprétation. Mais une interprétation d'une pièce, c'est une adaptation d'un texte, donc une oeuvre séparé en soi.

Et pour les questions de racisme, ça peut avoir son importance, car le même personnage perçu comme blanc ou noir va avoir un effet différent. Pour illustrer ça, on va regarder le cas de Lucas, le dealer de drogue dans la pièce.

Dans la version de base, c'est un garçon, et à un moment dans la chanson Wonderland, il explique en rappant les différentes drogues qu'il propose (du GHB et de la cocaïne). Et donc, un dealer de drogue afro-américain ou latino serait un stéréotype assez problématique à mon sens, surtout quand c'est le seul du cast. Mais un dealer de drogue blanc qui commence à raper me parait aussi problématique (mais moins), car on se rapprocherait d'une forme d'appropriation culturelle, surtout vu les liens revendiqués entre certains rappeurs et la drogue, et que Lucas est présenté comme un gars cool dans l'opéra.

La version que j'ai vu sur Youtube a décidé de donner le rôle de Lucas à une fille noire, ce qui est un choix intéressant, car je ne sais pas exactement comment analyser ça. J'imagine que c'était plus une question de logistique qu'autre chose, mais ça donne un bon exemple qui permet d'illustrer mon point sur la difficulté à analyser une oeuvre.

Donc je suppose que le racisme n'est pas sur ce personnage, mais sans doute plus sur celui de Soeur Chantelle, qui est en charge de la réalisation de la pièce, et qui est un exemple assez criant de sassy black women1. C'est un personnage secondaire, mais sa représentation est plutôt positive, ou du moins, je le vois comme tel. Elle fait preuve de tolérance dans God Don't Make No Trash en expliquant à Peter que sa relation n'est pas un souci pour Dieu.

Et c'est le premier point où je suis partagé. Je comprends bien les soucis du stéréotype, à savoir qu'il va masquer la réalité sociale des afro américains aux états unis, et ça soit le seul type de personnage qui a été présenté pendant longtemps. Mais à coté de ça, c'est un opéra qui a été écrit fin des années 1990, et donc dans la décennie où Sister Act est sorti au cinéma. Je ne serait pas étonné que l'auteur se soit dit, sans trop chercher à déconstruire le stéréotype, que c'était une représentation positive et donc ajouter le personnage à cause de ça.

Pour remettre aussi dans le contexte, l'intersectionnalité n'était pas encore un concept présent dans les discours féministes, sa conception datant de 1989 et 1991, et son usage ayant décollé dans les années 20002. Donc il y a clairement une représentation datée, même si je pense que pris isolément, c'est largement moins gênant que certains points du scénario de Wakanda Forever3.

Ensuite vient la misogynie. Je dois reconnaître que j'ai un peu plus de mal à voir le souci. La chanson de Nadia qui se trouve trop grosse et sans doute jalouse parce qu'Ivy est aimé par tout le monde me parait assez réaliste. Le fait qu'Ivy se fasse slutshamer est aussi une chose qui arrive. La mère de Peter qui refuse d'entendre le coming-out de son fils ne me parait pas non plus improbable.

Alors on peut critiquer le fait que tout les personnages féminins soient montrés comme problématiques. Nadia est agressive, jalouse de sa colocataire et ne fait pas trop preuve de sororité. Soeur Chantelle est un stéréotype sur patte, et la mère de Peter n'est la que pour rejeter son fils.

Mais le personnage de Ivy me parait plus intéressant, car elle essaye d'accepter ses désirs et fait preuve d'agentivité. Elle souffre de sa réputation, mais continue quand même. On peut se dire qu'elle est irresponsable vu qu'elle couche sans protection, mais c'est aussi un reflet du cadre, à savoir une école catholique dans les années 1990, la curie romaine ayant une position sans ambiguité depuis 30 ans sur le sujet.

Donc je ne pense pas que j'aurais qualifié ça de misogyne, le point de mon partenaire étant que les personnages féminins sont sous développés. Certes, ça pourrait être mieux (et c'est un point amélioré dans Bare: The Musical), mais tout comme le racisme, je pense qu'il y a des gradations, et que ça n'est pas tant de la misogynie qu'une écriture assez fouillie. L'oeuvre part un peu dans tout les sens, et il y a certains fils de l'intrigue qui ne vont pas loin, et mériteraient leur place plus dans une série télé plutôt qu'un opéra.

Et il reste l'homophobie, et je suis encore moins d'accord que les autres.

La pièce a été écrit par Jon Hartmere, gay et catholique, mais qui était encore dans le placard à l'époque. Son co-auteur, Damon Intrabartolo, était lui à la foi hors du placard, militant et motivé.

La version de l'opéra que j'ai vu avait deux acteurs assez identiques pour Peter et Jason4. Jeunes, blancs, cheveux courts et chatains, et surtout, la même silhouette. Je ne sais pas si c'était un choix explicite ou forcé, mais ça m'a incité à comparer les 2 personnages et leur destin en miroir l'un de l'autre.

D'un coté, il y a Peter, qui à défaut de dire qu'il est gay, agit comme tel. Il ne doute pas de son amour pour Jason, il ne cherche pas à séduire la moindre fille, et il a du mal à réconcilier sa foi et son orientation sexuelle. Il essaye de faire son coming out sans succès à sa mère, et quand il le dit à Matt, ce dernier en profite pour insulter Jason. Il survit à fin de la pièce, avec les 2 autres personnages principaux, des filles.

De l'autre, il y a Jason. Il y a des discussions sur le fait qu'il soit gay ou bi sur tumblr, mais je pense que c'est une mauvaise question à se poser, car ça n'as pas d'importance. Jason est celui qui veut rester dans le placard et qui doute de sa relation, qui va mettre une fille enceinte et qui meurt d'une overdose malgré le fait d'être le meilleur élève.

On peut voir comme morale que rester dans le placard est un poids, et les gens en meurent. On peut voir comme morale que l'église catholique (et surtout sa hiérarchie) est un souci.

Mais on peut aussi voir le parcours des deux garçons et comment celui qui hésite entre l'hétérosexualité et l'homosexualité est celui qui meurt. Comment celui qui trompe son copain est celui qui se suicide.

On peut le voir comme une question de biphobie, car même si le discours autour de Jason est qu'il est vraiment gay, et juste confus, c'est aussi un discours qu'on va souvent donner à entendre pour les mecs bis.

Et c'est pour ça que je pense que l'oeuvre, à défaut d'être homophobe (mais contient de l'homophobie), est assez problématique dans ce qu'on pourrait qualifier du traitement de la bisexualité, à un moment où la bisexualité était tout juste politiquement théorisé.

Mais tout comme le reste, je ne pense pas que ça soit très juste de retenir ça sur l'oeuvre. L'opéra, de l'aveu même de ses créateurs, était assez osé. Le début de l'acte II commence par un mariage entre hommes, à une époque où ça n'était possible nulle part, car le premier pays à l'avoir légalisé en 2003 est le royaume des Pays-Bas5, c'était novateur. Parler de rave party et de drogue dans un pays en guerre contre la drogue depuis Nixon, c'était osé. Parler de la question de l'avortement et des grossesses adolescentes en 2000, c'était osé. Et parler du suicide d'adolescent gay moins d'un an après la mort de Matthew Shepard, c'était osé.

Alors oui, l'oeuvre n'est pas parfaite d'après les standards de 2023 et d'assez assez loin. Certains points ont bien vieilli et d'autres moins, et ça me rappelle une chanson que j'aime beaucoup, Ain’t Nobody Straight In L.A.. Le passage sur "how do you know they are women" est une remarque transphobe (ou homophobe d'après l'article), mais pour une oeuvre de 1975, je pense qu'on peut relativiser les soucis. On va pas s'attendre non plus à des miracles du premier coup, et il faut voir ça comme un premier pas fait pour l'acceptation. De plus, une oeuvre, même imparfaite, permet de faire avancer les choses comme expliqué par la théorie de la cultivation, pour peu que l'oeuvre en question change ce qui est possible de produire et que d'autres oeuvres suivent.

Mais l'analyse la plus juste reste celle de mon partenaire, qui a dit que l'oeuvre est une métaphore du chemin de croix, car Jason/Jesus se sacrifie pour que l'histoire puisse se finir et qu'on puisse rentrer chez nous.

Et devant une telle puissance de réflexion, comment ne pas l'aimer ?

1

D'ailleurs, elle est listé comme tel sur TvTropes

2

Avant de vouloir dire parfois un peu n'importe quoi dans les années 2020, mais j'y reviendrais un jour.

3

Une nation en Afrique qui se bats contre une nation mésoaméricaine, je trouve que ça a un petit coté dépolitisant, voir guerre des gangs.

4

Pas de ma faute si ils se ressemblent tous. Et c'est pas raciste, j'ai des amis américains.

5

Et le Danemark est le premier pays à avoir permis un partenariat entre personnes du même sexe en 1989, même si on trouve des traces d'unions dans divers cultures pré-coloniales.