Dream Daddy, critique par un joueur occasionnel
Il y a quelques mois, je me suis acheté une Nintendo Switch sur un coup de tête. Je n'avais plus eu de console depuis des années (depuis la génération 16 bits, pour être exact), et je me suis remis à jouer. Et je profite de mon nouveau passe temps et de la pandémie pour regarder la représentation LGBT avec un regard critique.
Le Japon, patrie d'origine de Nintendo, n'a pas exactement la réputation d'une contrée progressiste sur les droits des personnes LGBT. Même si la société japonaise commence à bouger (les unions entre personne du même genre sont reconnues dans certaines préfectures), que des représentations LGBTQ+ existent depuis longtemps, Nintendo reste quand même une société assez conservatrice à ce niveau. Je peux citer par exemple Zelda Breath Of The Wild où il n'y que des couples hétéros1, l'incarnation de divers stéréotypes dans le personnage de Sérasieh, le passage avec la ville Gerudo et son traitement du genre. Le jeu et la série méritent un article complet, mais je peux citer aussi les choix fait sur les différents séries comme Harvest Moon ou Tomodachi Life, où Nintendo s'est officiellement excusé, du queer baiting sur Fire Emblem (ici, ici , et ici).
Bien que j'arrive pas à trouver de sources pour ça, j'ai cru entendre que Nintendo a commencé à étendre la couverture professionnelle2 aux couples du même sexe, suivant les pas de Panasonic et Kirin.
Historiquement, Nintendo a toujours été un outsider face au binôme Sony/Microsoft, essayant de ne pas miser sur la capacité brute de calcul mais sur la qualité de ses univers ainsi que sur l'exploration de nouvelles méthodes de jeux (Wiimote, Wii-U, Switch). Une des choses qui a longtemps distingué Nintendo de la concurrence est l'utilisation de cartouches, ce qui force les éditeurs à passer par eux pour produire un jeu et qui a permis de contrôler ce qui est vendu pour la console. Nintendo of America est notamment connu pour sa censure exercée pendant longtemps.
Mais l'éditeur a fini par changer d'avis, et des jeux indépendants sont maintenant disponible sur son magasin en ligne. Le succès de la Switch ainsi que l'existence de moteurs de jeu portables font que de nombreux jeux PC sont disponibles. Et Dream Daddy est un de ces jeux. Sorti en 2017, le jeu est un roman vidéo-ludique qui a fait parler de lui à sa sortie car ne proposant que des relations homosexuelles. Beaucoup de choses ont été écrites sur le jeu3, sur la représentation de la masculinité, et je vais tenter de ne pas redire ce que d'autres ont dit mieux que moi.
Je me suis acheté le jeu en février 20204 mais je n'ai pas joué tout de suite, et j'ai assez peu d'expérience avec ce genre de jeux, à part la trilogie Ace Attorney.
Le premier reproche que j'aurais à faire sur le jeu, c'est quand même son coté nord américain fortement ancré. Par exemple, un des lieux qu'on visite est un café typique de ce coin de la planète, avec de l'espace, des cafés variés, des muffins, etc. C'est le genre d'endroit qui me manque le plus à Paris, les contraintes d'espaces étant ce qu'elles sont, on y trouve rarement des lieux confortables sans avoir trop de monde.
De même, le jeu est uniquement en anglais, ce qui rajoute au dépaysement et ne me dérange pas sauf sur le point de la compréhension des jeux de mots. En fait, les références à la culture anglo-saxonne tel que les unités ou le nommage des classes d'écoles font que c'est un peu plus dur de vraiment comprendre ce qui se passe pour moi. Et le fait d'ajouter parfois des jeux de mots basés sur des références culturelles comme les noms des gâteaux liés à des groupes de musique dans une séquence avec Mat rend certaines questions plus compliquées. Pour ma part, je n'ai compris que celui sur les Grateful Dead.
Toujours parmi les choses qui m'ont dépaysé, l'orientation sexuelle de tout les personnages m'a marqué. Bien que ça soit logique pour ce jeu, ça m'a plus surpris que de voir la même chose dans d'autres VN comme Katawa Shouja qui met en scène uniquement des relations hétéros. Le fait d'avoir 0 coming out à faire à personne, et de n'avoir personne qui ne se confie au personnage joueur sur le sujet m'a laissé dans un mode de pensée où j'étais aussi incapable de draguer que dans la vie réelle (chose que je n'arrive pas non plus à faire avec des femmes, mais encore moins avec des hommes ou des personnes NB).
Malgré cela, le jeu m'a plus d'une fois affecté emotionnelement, notamment ce qui est arrivé à Alex (la moitié (h/f) du personnage principal) ou le fait que la femme de Mat soit aussi décédée.
Il y a aussi certaines branches du jeu qui m'ont fait tiquer. À un moment dans le jeu, Amanda (la fille du joueur) rentre et va s'enfermer dans sa chambre. Le personnage principal a le choix entre insister pour la faire parler, ou attendre. J'ai choisi attendre le lendemain car je pense que le consentement est important, mais je ne m'imagine pas répondre autre chose même dans un jeu vidéo, où on peut ne pas être parfait.
En parlant d'Amanda, ça me permet d'enchaîner sur l'absence quasi-totale de personnages féminins. On retrouve les filles des divers pères (Amanda, Carmensita, Christie, Daisy, Hazel, Briar, et d'autres sans doute), mais aucune mère, à part Mary, la femme de Joseph. Mary apparaît soit en train de boire, soit comme hostile au personnage. Comme son nom est une allusion à Marie et Joseph, et que Joseph est le pasteur, je ne sais pas si on doit voir dans ce personnage une personnification de la religion (et donc de l'hostilité de la hiérarchie catholique vis à vis des couples du même sexe) ou si j'invente des choses.
Un autre regret est au niveau de l'outil de personnalisation du personnage principal. Je sais bien qu'il y a des contraintes d'ordre budgétaire, mais j'ai eu beaucoup de mal à me décider entre les 3 choix de carrure (à savoir athlétique, maigre, ou plus gros) car j'avais l'impression qu'aucun n'était comme moi. Et pourtant, tout le reste de l'outil n'a pas posé de souci, mais je suis toujours surpris de voir le focus sur les visages alors que c'est une partie mineure de l'apparence dans un jeu vidéo.
J'ai aussi vu au moins un bug au cours de l'histoire quand Damien m'a montré 2 fois ses papillons, ce qui a cassé un peu l'immersion. Mais j'ai peut être fait quelque chose d'incorrect, et ce n'était pas spécialement grave.
Au final, le jeu m'a permis d'en apprendre un peu plus sur les visual novels et les fictions interactives, et m'a donné des idées pour faire ma propre histoire, comme l'usage des questions sans rapport afin d'impacter les réponses par la suite sans avoir à utiliser du hasard, le genre de mécanisme pour rajouter des mini-jeux en temps restreint (comme le 2ème date avec Craig) sans utiliser de timer. Et en cherchant un peu, j'ai aussi pu découvrir des éditeurs gratuits et libres comme Inky, ce qui est important pour la préservation des jeux, et pour permettre au plus grand monde d'en faire.
Une partenaire m'a fait remarquer qu'il y a sans doute un sous-texte queer entre Zelda et Urbosa (une hypothèse que le DLC dissipe un peu en positionnant Urbosa comme une figure maternelle par rapport à Zelda).
Traduction depuis l'anglais de "benefits"
Notamment des productions académiques comme cet article ou ce podcast
Le 14, pour être précis. Oui, je sais.