En 2023 au cinéma, les mecs bis ne peuvent pas être heureux
L'année 2023 se termine, et force est de constater qu'on ne peut toujours pas espérer voir un homme bi heureux au cinéma à la fin d'un film français. Et c'est assez triste, mais pour expliquer ça, je vais devoir raconter quelques fins de films récents.
Au moment ou j'écris ces lignes, Le temps d'aimer est encore au cinéma. J'ai décidé d'aller le voir sur un coup de tête, car j'avais bien aimé la prestation d'Anaïs Demoustier dans Les amours d'Anaïs. Le synopsis indique que Francois et Madeleine, les 2 personnages principaux, ont chacun un secret. Comme le film était en cérémonie de clôture du festival Chéries Chéris, il n'est pas vraiment dur de deviner le secret d'un des deux surtout quand on voit l'affiche. Et le secret de l'autre est annoncé directement au début du film pour peu qu'on reconnaisse l'actrice dans un passage en noir et blanc, et pour être sûr qu'on comprenne, son personnage le dit dans les 10 premières minutes à l'autre.
La mise en parallèle de la honte des deux personnages, celle d'être attiré par les hommes pour François et d'avoir eu une liaison pendant la guerre avec un officier allemand pour Madeleine, est une approche intéressante. Au début du film, Nicolas, un ancien amant de François, brûle l'appartement du couple alors qu'ils étaient partis au cimetière pour l'enterrement du père de Madeleine. La mise en parallèle des 2 personnages est direct car la scéne d'avant montre leur voiture recouverte de fumier avec une croix gammée, sous entendu par quelqu'un du village qui a reconnu Madeleine. Le passé de chaque personnage qui revient au même moment entraine leur départ vers Chateauroux, ville présentée comme un lieu de perdition ou ils vont s'occuper d'un cabaret. On y retrouve pour moi le narratif du départ de la campagne vers la ville qui est assez classique des parcours gays, mais je m'égare. Tout comme Madeleine a du quitter son village à cause de sa relation, François doit quitter la ville où habite ses parents pour les mêmes raisons.
Plus loin dans le film, Madeleine et François ramène un combattant américain dans la chambre conjugale, un plan à trois commence et se termine par le soldat frappant François pour cause d'homophobie (alors qu'il avait l'air ok 30 secondes avant). C'est là que Madeleine comprends que son mari aime aussi les hommes, même si la question de la bisexualité n'est pas frontalement amené. C'est d'autant plus trompeur que le soldat en question, qui n'est là que pour un arc narratif assez court, est sur les affiches comme un personnage important. Je m'attendais vraiment à ce que le soldat soit gay/bi et qu'une histoire heureuse commence. Mais à la place, Francois revends les parts de l'usine de son pére, part à Paris avec sa famille et va enseigner à la Sorbonne.
Puis arrive le moment ou j'ai pleuré pendant le film car François finit par se suicider et que l'histoire continue encore pendant quelque temps1. Il se jette sous un camion après avoir été arrêté pour détournement de mineur (à savoir un étudiant de sa classe à la Sorbonne qui l'a dénoncé après leur rupture). Le film se passant dans les années 60, il risque 6 ans de prison en plus de la honte sur sa famille. Le contraste est assez saisissant, parce qu'aprés sa mort, Madeleine réalise son rêve de tenir un cabaret et finit le film en vie, tandis que François termine le film mort après avoir suivi son destin tracé par sa famille. Sa fille et son fils ne savent rien de son secret2, et l'acceptation de son orientation par sa femme n'est pas extrêmement claire. Elle est au courant depuis la séance à 3 au milieu du film, et ne semble pas s'en offusquer plus que ça. On pourrait croire que c'est un message de tolérance, mais on voit plus tard que ça la dérange, et on comprends qu'elle boit beaucoup pour oublier sa vie une fois qu'ils quittent Chateauroux pour venir à Paris. Il est dit dans le film que c'est l'ennui de sa vie de femme bourgeoise riche qui provoque son alcolisme, mais on peut aussi voir que c'est le fait de servir de couverture à ce qu'elle estime être un homme gay. On pourrait même dire que la mort de Francois libére Madeleine de toute sa honte, car visiblement, avoir couché avec l'ennemi est plus pardonnable que d'être marié avec un homme qui aime les hommes.
Le film se termine sur Madeleine qui signe une lettre pour son fils pour qu'il puisse retrouver son père biologique.
Ce que je retient du personnage de François, c'est que sa liaison avec Madeleine le sauve, et ses liaisons avec des hommes le condamnent. C'est le seul de tout les membres de la famille à ne pas avoir une fin heureuse, et le seul rôle principal qui fait parti d'une minorité sexuelle dans la narration. Et ce n'est pas le seul film de l'année où j'arrive à cette conclusion.
En juillet 2023, j'ai été voir Passages dans une salle obscure. Le film raconte l'histoire de Tomas, un réalisateur en couple depuis 15 ans avec son mari Martin et qui décide de coucher avec Agathe après un tournage. Après moult scènes de sexe, de rupture et de tentatives de se remettre ensemble, le film se termine avec Tomas qui se fait jeter par Martin et par Agathe, et il finit seul à vélo dans Paris. Encore une fois le mot bisexuel n'est pas prononcé, mais c'est pour moi clairement le cas de Tomas. J'avais pas mal à dire sur le coté self-insert de l'histoire, mais ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est de constater qu'un homme bi va finir malheureux parce qu'il suit ses envies.
Plus tôt dans l'année, j'ai vu Arrête avec tes mensonges où un écrivain ouvertement gay revient dans son village natale et croise le fils de son ex au lycée qui était dans le placard. L'ex en question finit par se marier avec une femme, avoir un enfant, quitter sa famille et se suicider. Il n'est pas clair si la cause est d'avoir du cacher son homosexualité ou d'avoir rompu avec le personnage principal comme expliqué dans un mémoire sur le sujet (pages 82/83). Tout comme dans Bare Pop, le personnage qui meurt est celui perçu comme bisexuel et/ou dans le placard.
C'est d'autant plus visible si je compare avec un autre film de 2023, L'air de la mer rends libre. Dedans, Saïd est un homosexuel forcé de se marier avec Hadjira, qui a eu quelque soucis avec la justice. On découvre à la fin que le mariage est arrangé par leurs familles respectives, et le film se termine dans mon souvenir avec Hadjira qui accepte l'homosexualité de son mari. Ma conclusion est qu'on peut accepter un homme qui aime les hommes si il ne dit pas qu'il aime les femmes.
Bien que je ne cite que des films de 2023, ça n'est pas beaucoup mieux dans les productions plus anciennes que j'ai pu voir dans l'année comme La triche (1984) ou Les nuits fauves (1992). Dans le premier, l'amant du personnage principal meurt devant ses yeux tué par un policier à la fin du film. Dans le second, Jean termine le film sans Samy et sans Laura, le premier ayant viré à l'extrême droite et au BDSM durant sa relation avec Jean, la seconde ayant du être internée de force aprés être devenu névrotique pour ne pas avoir eu ce qu'elle voulait avec le même Jean. Dans les 2 cas, la bisexualité est associé à une fin triste, voir tragique3 et/ou traumatisante pour les partenaires et pour l'homme bi.
Et ce n'est pas faute d'avoir uniquement des réalisateurs ou scénaristes hétéros car Ira Sachs, Cyril Collard ou Philippe Besson, respectivement scénaristes de Passages, Les nuits fauves et Arrête avec tes mensonges, sont ouvertement homosexuels ou bisexuels.
En 40 ans, le cinéma français n'a pas l'air d'avoir progressé sur sa présentation de la bisexualité masculine. Et pourtant, il n'y a aucune raison pour que ça se termine toujours comme ça. Il n'y a aucune raison pour qu'on puisse avoir une histoire sur la bisexualité féminine qui se termine de façon heureuse dans Gazon Maudit4, et ne pas pouvoir le faire pour un éventuel pendant masculin. Si Arte arrive à faire une mini série comme J'ai deux amours qui se termine bien, alors il n'y a aucune raison pour que le cinéma ne le puisse pas. Tout ceci me rappelle pas mal le traitement des histoires lesbiennes et gays dans la littérature quand la moralité voulait que les personnages homosexuels finissent malheureux. De nos jours, ça n'est plus le narratif dominant, même pour la transidentité comme en témoigne Mi vacío y yo, Un homme heureux ou A good Man, sauf visiblement pour les hommes bis.
Peut être que je ne regarde pas les bons films. Peut être que 2024 va apporter du changement à ce niveau. Et peut être que je vais pouvoir refaire le même article dans 1 an.
Comme la fin de Madame de Bovary, Flaubert style.
Même si la fille trouve 2 exemplaires de la revue Arcadie dans le bureau, mais elle n'y fait pas attention. J'apprécie néanmoins la touche historique.
Sans compter l'histoire même de Cyril Collard qui a gagné plusieurs Césars à titre posthume, vu qu'il est mort 4 jours avant la cérémonie.
Même si avec le recul, le film est plus violent que dans mon souvenir et je note quand même que Loli se fait mettre dehors à partir du moment ou il est clair qu'elle est bisexuelle, ce qui fait beaucoup trop écho à la vie réelle pour un film classé en comédie.