Manic Pixie Dream Bi

En 2024 dans les médias, les mecs bi n'existent presque pas

Comme l'année derniére, je me suis penché sur la representation des mecs bis dans les médias, et en 2024, ça n'a pas été beaucoup plus glorieux qu'en 2023.

Alors pour commencer, j'ai décidé de regarder 120 battements par minute, en me disant que le film a eu beaucoup de prix, ça devait donc être bien. Je savais que c'était un film sur le VIH, mais je m'attendais pas exactement au scénario et à la fin. En dehors de ça, le film a coché toutes les cases pour couvrir tout le monde et a même couvert des choses qu'on sait ne plus être un gros souci de nos jours, à savoir l'infection via un rapport sexuelle entre deux femmes cis. Mais les seules mentions de bisexualité sont dans les interventions à l'école en passant, et dans l'histoire de Sean. En effet, ce dernier explique qu'il a été contaminé par son prof de math, marié avec un enfant. En d'autres termes, soit un mec gay dans le placard, soit un mec bi et dans les deux cas, qui ment à sa compagne. Là où le personnage joué par Adèle Haenel va galocher une femme deux ou trois fois (pour dire "les lesbiennes existent aussi"), on voit assez rarement autre chose que des mecs exclusivement compris comme gay.

Pour rester dans le thème, j'ai aussi finalement pu aller voir Jeanne et le Garçon formidable, un film dans lequel j'avais mis de grands espoirs. Je m'attendais à ce qu'Olivier, le garçon formidable du titre, soit un mec bi, et même si c'est un mec bi séropositif, ça serait toujours ça de gagné. Mais visiblement, j'ai fait une erreur de débutant, celle de croire que les réalisateurs gays ne montrent que des personnes LGBT. Olivier est hétérosexuel, et il n'attrape pas le virus via une relation sexuelle, mais parce qu'il a été toxicomane. C'est important d'en parler, et même si les comédies musicales ne sont pas trop mon kiff, c'était un bon moment.

Toujours dans les films français qui ne sont pas de 2024, j'ai regardé Baisers cachés, une production de 2016. Je ne m'attendais pas à grand chose pour un film sérieux avec Patrick Timsit (qui reste pour moi un humoriste avant tout), mais au final, le sujet est bien traité et mes à-prioris étaient non fondés. On ne peut pas dire que ça se termine mal mais c'est pas non plus l'happy end total, et je suis triste de voir qu'une fois de plus, la bisexualité masculine ne soit pas envisageable (malgré le fait que le mot soit dit à un moment par une des actrices).

Et pour finir avec les films français que j'ai vu, il reste les Chansons d'Amour de Christophe Honoré. Le personnage d'Ismaël, joué par Louis Garrel, est clairement bisexuel. Il est en trouple avec Julie et Alice, il couche avec Maud, une serveuse de bar, et finit le film en couple avec Erwann, le frère du nouveau copain d'Alice. Mais le mot bisexuel n'est pas prononcé, et il dit même, "je suis pd" dans une chanson du troisiéme acte. Donc je range ça encore dans les occasions manquées, et je prends une note d'acheter un caiser plus grand pour cette catégorie.

Pour ce qui est des films sortis en 2024, je n'ai deux films qui me viennent en tête. Dans Fragments d'un parcours amoureux, un des personnages interviewés, un canadien, dit qu'il est gay mais qu'il couche parfois avec des femmes. Et une des femmes interviewées dit qu'elle est hétéro mais qu'elle couche avec des femmes. La réalisatrice a d'ailleurs bien conscience de ça vu qu'elle dit dans une interview que le refus des étiquettes est ce qui plait, alors qu'elle même se déclare à contre coeur "lesbienne à tendance hétéro" dans une autre interview. Donc on voit clairement que les étiquettes ne plaisent pas, mais on peut voir qu'il y en a qui plaisent moins que d'autres.

Quand au second film, je l'ai attendu pendant plusieurs mois depuis sa présentation à Cannes en 2024. Vivre, Mourir, Renaitre de Gaël Morel est un film qui parle du VIH vers la fin des années 90, juste au moment de l'arrivée des thérapies efficaces. Dans l'interview qu'il donne à Têtu, il mentionne qu'un des deux hommes est bi, et c'était assez rare pour que je soit hype à fond. Malheureusement, j'ai trop fait confiance à l'auteur, et quand il dit "qu'ils gagnent à la fin", il faut comprendre que tout le monde ne gagne pas à la fin. Le film commence pourtant bien avec le personnage de Sammy qui explique à Emma qu'il est bi, et elle accepte ça. Mais assez vite, on voit que non seulement le personnage ouvertement bi est celui qui trompe sa femme, et si on rajoute que c'est un acteur métissé, je pense qu'il y a une deuxiéme couche de stéréotypes problématiques par dessus. En plus, il se fait frapper violemment à cause de son infidélité, et je suis partagé sur ce passage. D'un coté, montrer que la violence envers les hommes queers existe est un point important, mais de l'autre, c'est quand même un souci que ça soit le mec bi et racisé qui se fasse frapper. Au passage, c'est aussi lui qui infecte l'innocente blonde qui lui a fait confiance. Et comme ça ne suffit pas et qu'il faut un peu de tristesse, c'est également lui qui meurt avant l'arrivée des trithérapies. On en revient toujours au bon mec queer (Cyril) face au mauvais mec queer (Sammy)1 avec la question politique sous jacente.

Du coup, j'ai du me rabattre sur les films non français, et il faut voir que c'est quasiment pas mieux, sauf dans un cas. En désordre, j'ai été voir Tangerine, un film de Sean Baker. Le film est intéressant, mais le seul personnage bi trompe sa femme, et il va spécifiquement voir des prostitutés trans. Il est totalement dans le placard.

Dans le même ordre d'idée, Mitzi, le personnage principal de Priscilla folle du désert, est sans doute bi vu qu'il est marié avec une femme qui est elle même queer, et ils ont un enfant. Il est toujours difficile de savoir qui est bi ou qui n'est pas, mais il y a clairement de l'affection entre les 2 en plus du gamin. Ce qui est plus dérangeant sur le sujet, c'est que la situation maritale de Mitzi soit traitée comme une surprise, ce qui peut être lu de multiples façons (soit comme un placard inversé, soit comme une impossibilité de penser la bisexualité masculine par des personnes queers).

Au passage, le role de Bernadette Bassenger, la drag queen transgenre, est interpreté par Terence Stamp que j'ai pu aussi voir à l'affiche avec une diffusion de Théorème de Pier Paolo Pasolini. C'est un des films les plus anciens que j'ai vu avec un personnage bisexuel, même si ce dernier est plus une force mystérieuse extérieure qu'une personne à qui on peut s'identifier. Et je dois reconnaitre que le classement interdit moins de 16 ans m'a fait miroiter des scénes qui n'était pas la. Mais c'etait intéressant de voir un des premiers films avec un sujet controversé pour l'époque.

Et enfin, j'ai pu voir My own private Idaho de Gus Van Sant (et Mala Noche avant). On y voit le personnage de Scott joué par Keanu Reeves, un jeune homme qui se prostitue avec des hommes pour se rebeller envers son pére, maire de Portland. Il rejette l'amour de Mike, son compagnon d'histoire et homosexuel narcoleptique, puis il finit par se marier avec une femme pour intégrer la haute bourgeoisie locale. On est donc encore dans les mêmes thématiques que le reste, à savoir la trahison par le perso bi. Le film aborde également le sujet de l'inceste, des sans abris, et est de trés bonne facture. J'ai adoré le basculement vers une partie plus théatrale vers le milieu du film. Et le sujet de l'inceste abordé en filigrane me donne la transition parfaite vers ma découverte de l'année, Gregg Araki.

Le premier film du réalisateur que j'ai vu est Mysterious Skin, une oeuvre qui traite également de l'impact de l'inceste sur les garçons. Je pourrais dire beaucoup sur la représentation de l'inceste au cinéma parce que j'ai vu sans doute trop de film sur le sujet pour mon propre bien, mais c'est pas le sujet de l'article d'aujourd'hui. Aprés avoir vu Mysterious Skin, j'ai voulu découvrir plus le reste de la filmographie, et j'ai eu la chance de ne pas avoir à chercher bien loin. J'ai donc pu enchainer Kaboom, Doom Generation, Nowhere et Splendor en quelques semaines. Et seul ce dernier n'a pas de personnages bisexuelles masculins, mais parle de polyamour, ce qui est m'intéresse aussi.

Alors tout les films ne se termine pas exactement bien, et plutôt le contraire en général mais le coté un peu bizarre et absurde inspiré de David Lynch2 m'a séduit. Certains personnages principaux sont bis, et c'est normal et accepté par leur proches. On pourrait me dire que les personnages ne survivent pas toujours, et c'est vrai.

Dans The Doom Generation, le film se termine aprés que Xavier et Jordan se fassent attaquer par des néo-nazis lors d'un plan à 3 et Jordan meurt aprés un viol, les nazis découpant son penis pour lui faire manger (donc une émasculation symbolique). Mais Xavier, le personnage bi initial, survit, et c'est pour moi plus une métaphore qui rappelle que les mouvements d'extrême droite vont punir les transgressions de l'ordre hétero-normatif par des hommes supposés héteros. Le fait que Amy soit aussi celle qui batte les attaquants illustre aussi une alliance entre le féminisme et les droits LGBT.

Dans Nowhere, le personnage principal Dark est présenté comme bi dés le début. Il est en couple avec Mel, également bisexuelle. Ils sont en couple ouvert, mais Mel a plus de succés que Dark vu qu'elle a une copine (avec qui elle rompts dans le film). C'est trés cliché mais pour un film de 1997, je peux voir que ça n'était pas aussi courant au cinéma. Le film est relativement absurde et se termine avec un garcon qui explose en se transformant en insecte géant. Même si je devrais ne pas aimer le fait que ça soit bourré de stéréotypes, le film m'a plus de par son esthétique fluo et parce qu'il est trés queer. Je n'y voit pas une punition par le scénario, mais plus un reflet de l'absurdité du monde. Le film aborde des soucis comme la drogue chez les jeunes (via l'arc sur Bart et Cowboy), les violences dans le milieu du cinéma (l'histoire de Egg et de la star sans nom), et surtout, l'impact du jugement de la société, vu que les deux se suicident quand un téléevangéliste leur dit de mourir. Il n'y a rien de punitif vis à vis de ce qu'ils ont fait, mais parce que la societé les rejettent en tant que victime de viol et consommateur d'héroine gay. Dans le même ordre d'idée, le fait que Dark termine le film seul et qu'un alien rode dans certains plans est une métaphore de la crise du SIDA. Je n'ai hélas pas pris suffisament de notes, mais j'ai adoré le film, donc j'irais le revoir un jour.

Et finalement, le meilleur pour la fin, Kaboom. Même si son personnage principal ne se déclare pas comme bisexuel, il couche avec des hommes et des femmes et ça n'est un souci pour personne. Il est vu comme désirable, et sa petite amie (London, qui se déclare bisexuelle et parle de Kinsey) va lui préparer une surprise avec un plan à trois. C'est cliché encore une fois, mais le contraste avec les autres films que j'ai vu est saisissant. Tout comme Nowhere, la fin du film est absurde (comme le reste du plot). Le monde est détruit dans une déconstruction magistrale des tropes de certains films et j'apprécie que du point de vue symbolique, c'est le père de Smith, vieux, blanc, hétero, qui fait exploser la planète. Tout comme The Doom Generation, les méchants ont un petit coté nazi (Thor, Rex) ce qui me conforte dans une certaine analyse politique du film. Et un point qui me permet d'enchainer sur la conclusion est que le film représente frontalement une relation toxique entre deux femmes, ce qui est curieusement rare vu à quel point le sujet suinte dans d'autres films.

Car je ne parle que des films avec des mecs bisexuels, mais j'ai aussi vu un paquet de film avec des femmes bisexuelles ou lesbiennes comme Rivière, French Girl, Langue étrangére, Love Lies Bleeding, Les Reines du drame, La bella estate, Fotogenico, Les larmes amères de Petra von Kant, Summer, Kiss me kosher, But I am a cheerleader, Mika ex machina, Tout ira bien, Green Night, Watermelon Women, Sans coeur (et sans doute d'autres, je n'ai pas tout noté).

Et j'ai aussi vu des films qui abordent des sujets LGBT où la question de la bisexualité ne se pose pas (Bros, Les tortues, Un aprés-midi de chien, Le 2ème acte, Eat the night, Almamula, My sunshine, etc), mais je ne vais justement pas en parler, à part pour souligner que j'ai vraiment cherché partout pour trouver des representations de mecs bis sans un grand succés. Et comme en 2023, il n'y a pas eu des grands changements vu que j'ai du sortir des films vieux de 15 ans pour trouver enfin quelque chose qui me plait sur ce sujet.

Quand au sujet des médias autre que le cinéma, je n'ai hélas pas trouvé grand chose, et la seule BD ou j'ai pu noté quelque chose vaguement en rapport avec la bisexualité masculine est Clémence en colère de Mirion Malle. Et encore, ce que j'ai noté, c'est que la BD mentionne vers la fin qu'une des personnages sort avec un "mec bi pratiquant" ce qui me laisse un arriére gout désagréable d'être jugé. Il est amusant d'ailleurs de connecter cette séquence avec celle de Go Fish, quand Daria est jugée par ses amies pour la transgression d'avoir couché avec un mec3. Mirion Malle étant ouvertement lesbienne, je note qu'il y a des choses qui n'ont pas beaucoup changé en 30 ans.

Je voudrais bien dire que j'espére que 2025 va être plus fécond sur la question des mecs bis, mais je n'ai rien en vue qui m'indique le contraire dans le pipeline des différents festivals de cinéma. Donc rendez vous dans grosso modo un an.

1

Et les noms des personnages, tout comme le style de l'affiche, sont des références assumées au film de Cyril Collard.

2

R.I.P., mais du coup, j'ai pu voir 50% de sa production au cinéma il y a quelque temps.

3

Autostraddle fait d'ailleurs remarquer que la moitié de l'équipe a failli se barrer à cause de la scéne.