Encato, premier film LGBT de Disney de novembre 2021
Profitant de la montée des cas en cours en décembre dernier, j'ai été voir Encato au ciné, et comment dire, ça m'a paru un peu gay comme film. J'avais commencé à rédiger un billet de blog à l'époque sur ce sujet et j'ai décidé de le publier aujourd'hui.
Je ne vais pas présenter le synopsis du film, Wikipedia en propose un très bien, et je vais tout de suite aller dans l'analyse.
Contrairement aux classiques du studio et suivant une tendance récente, le film n'a pas de personnage qui sert de méchant, et tout tourne autour d'un conflit familiale au sein de la famille Madrigal. L'histoire se déroule en Colombie après un conflit armé non spécifié, le pays ayant eu largement sa dose de guerres civiles. En dehors des pouvoirs magiques, la structure de la famille est tout ce qu'il y a de plus classique avec des couples hétéronormés vivant tous sous le même toit, un concept en surface proche des sitcoms des années 90 (comme Une famille formidable pour ne citer que le premier exemple qui me vient à l'esprit).
Ce n'est pas le plus queer des décors, mais en grattant un peu, on peut commencer à voir des bouts d'histoires qui vont résonner avec un public queer.
Par exemple, l'héroïne (Mirabel) est doublé par Stefanie Beatriz, actrice bisexuelle à la vie comme à la scène (au moins pour son rôle de Rosa dans Brooklyn 99) et bicône1 bien connue. J'ai eu du mal à la reconnaître car la voix du personnage de Rosa est beaucoup plus grave que celle de l'actrice. La première chanson du film explique que Mirabel se sent différente car elle n'a pas de pouvoir au contraire de tout le reste de sa famille, et elle va même jusqu'à dire à un moment qu'elle n'y a pas sa place. Le sentiment d'exclusion car on ne rentre pas dans le moule est un thème LGBT assez courant et on le retrouve souvent dans la fiction, comme par exemple dans les X-mens. Il est d'ailleurs amusant de constater que les pouvoirs de la famille peuvent se rattacher à ceux de mutants bien connus. Pepa contrôle le climat comme Storm. Camilo peut changer d'apparence comme Mystique. Luisa a une force surhumaine comme Juggernaut. Par contre, je crois qu'aucun mutant n'a le pouvoir de soigner grâce à des gâteaux, donc il y a quand même des exceptions.
Mirabel est un personnage différent du reste de sa famille qui subit une certaine pression à se conformer au moule familiale porté par sa grand mère. La suite du film raconte comment Mirabel découvre ce qui est arrivé à son oncle Bruno, et comment elle tente de prévenir tout le monde de la destruction de la maison. Symboliquement, on peut voir que la maison symbolise l'ordre matriarcal et le passé, et tout le monde accuse Mirabel d'avoir causé sa chute, une accusation qu'on peut mettre en parallèle avec les accusations conservatrices concernant les personnes LGBT et l'ordre sociale. Comme la famille Madrigal est un peu une famille bourgeoise locale de part sa position sociale et géographique dans le village, je pense que ça colle pas mal avec l'importance de l'apparence dans ce milieu.
C'est pour le moment un peu tiré par les cheveux, et sans doute plus lié au fait qu'il y a un nombre limité d'histoires qu'on peut écrire2, donc nous devons regarder les autres personnages.
Par exemple, on peut noter le personnage de Camilo. Cousin de Mirabel, son pouvoir lui permet de changer de forme à volonté à condition de rester humain, et on le voit en effet prendre la forme de sa sœur lors d'une réception pour une farce. C'est une des raisons qui font que certains vont le classer comme personne non-binaire, voir appeler Disney à faire un arc narratif visant à corriger les erreurs de la représentation de Loki. Néanmoins, c'est un personnage des plus secondaires dans l'histoire et dans le film.
Un autre personnage qui a résonné avec le public LGBT est Luisa. Doublé par Jessica Darrow, une actrice queer, son pouvoir est d'avoir une force surhumaine, un don qui lui cause pas mal d'anxiété qu'elle refoule comme l'explique sa chanson "Surface Pressure". Le sentiment d'avoir le poids du monde qui repose sur elle est sans doute partagé avec beaucoup de femmes, mais je pense que c'est surtout son apparence qu'on peut qualifier de butch qui importe. Une rumeur non vérifié sur le web parle de bataille pour que Luisa soit musclé, mais rien n'a été prouvé. Et que je sache, Luisa a un rôle plus important que Isabela dans le film, c'est peut être aussi un facteur dans sa popularité au niveau des marchandises.
Mais c'est surtout l'histoire de Bruno qui a retenu mon attention. Bruno est l'oncle de Mirabel. Son pouvoir est d'avoir des visions plus ou moins prophétiques et il quitte la famille avant le début du film à cause d'elles. On ne sait pas exactement pourquoi il a quitté la famille, mais son nom est devenu tabou au point d'avoir sa propre chanson "We Don't Talk About Bruno". Comme l'explique la chanson, on lui reproche notamment d'avoir gâché le mariage de sa sœur Pepa, institution symboliquement rattaché à l'ordre hétérosexuel s'il en est. Comme j'ai pu le lire sur le web, Bruno vit littéralement dans un placard, ou du moins, dans l'espace liminale que sont les murs de la maison (et qu'est ce qu'un placard si ce n'est quelque chose entre la pièce et les murs). Le fait de décevoir sa famille (et sa mère) et de partir de honte alors qu'on veut rester est un narratif qu'on retrouve dans les histoires de nombreuses personnes LGBT. On peut rajouter aussi que Bruno aime le théâtre, une activité fortement rattachée à la communauté LGBT dans l'imaginaire collectif anglo saxon. Bruno en tant que personnage souffre de son isolation sociale, et on voit bien qu'il est dépeint comme tel.
C'est grâce à sa nièce (Mirabel) qu'il revient dans la famille, et je choisis de voir ça comme une métaphore de l'acceptation par les plus jeunes générations des personnes LGBT, même si le seul rapport sur le sujet semble dire que la tendance s'inverse3.
Un autre point important est celui des relations romantiques. Mirabel, Luisa et Bruno sont les 3 personnages principaux de la famille qui n'en ont pas. Les sœurs de Bruno sont mariées, Antonio et Camilo sont trop jeunes. Mirabel a 15 ans comme son cousin, mais contrairement à lui, elle est présenté comme mature et c'est le personnage principal. Et l'âge ne semble pas si important pour Disney, Mulan a 16 ans dans son film, et elle termine avec Li Shang.
Le cas de Dolores et d'Isabela est intéressant car Isabela doit se marier avec Mariano, mais on découvre qu'elle ne veut pas se marier et n'a accepté que pour faire plaisir à sa famille. Dolores est quand à elle amoureuse de Mariano, et ils finissent le film ensemble. Le timing du changement est important car ça arrive après que Mirabel "décoince" Isabela de son carcan de fille parfaite, décoincage qui se traduit par une explosion de couleur et la création d'un cactus au lieu des fleurs4. D'ailleurs, une fois décoincée, Isabela va se teindre les cheveux, et je pense que je n'ai pas besoin d'expliquer le symbole et son rattachement à la culture queer. J'aimerais aussi pointer que Diane Guerrero, l'actrice qui double Isabel, a joué Maritza Ramos dans Orange is the new Black (où elle embrasse une femme), mais aussi Jane dans Doom Patrol (qui est lesbienne d'après elle), et qu'elle a expliqué dans une interview qu'Isabel est sans doute aussi lesbienne. Je ne sais pas si Diane Guerrero est elle même lesbienne, mais dans la mesure où je n'ai rien trouvé sur sa vie privée et que les personnes LGBT parlent plus souvent des thèmes LGBT, c'est une hypothèse que je n'écarte pas, loin de là.
Tout les personnages qu'on pourrait considérer comme vaguement queer-codés sont célibataires, sans aucune exception. Et la moitié (ou plus) sont joués par des personnes queers.
Donc entre les traces de queer coding dans l'histoire et les personnages, le thème de lutte contre la tradition familiale et l'insatisfaction des plus jeunes générations qui ne veulent pas rentrer dans le moule, je pense qu'on peut dire que le film est un peu gay.
Je reconnais que ma lecture du film est sans doute qu'une lecture parmi tant d'autres. En cherchant des articles pour soutenir ma thèse, j'ai pu voir que d'autres interprétations ont été proposées, comme le fait que Bruno est une métaphore du rejet des personnes souffrantes de maladie mentale, ou sur l'autisme.
Et bien sûr, le film ne se résume pas qu'à ça. La représentation de personnages d'une culture d'Amérique latine, le traumatisme des guerres civils, les dynamiques des familles colombiennes sont autant d'aspects importants du film, et je concéde volontiers ma non compétence sur ces sujets, et j'invite les personnes qui veulent en savoir plus à aller chercher sur le web.
Traduction française du néologisme anglais bicon, formé par bi- et icon. C'est la startup nation au service de la langue.
De une seule histoire pour les partisans de Joseph Campbell a sans doute plus de 40 pour les théories les plus audacieuses si j'en crois Wikipedia.
Le sondage ayant été fait aux USA sous Trump, il est possible aussi que ça ne soit qu'un reflet de sa présidence.
Mon seul commentaire sera que je ne ferais pas de commentaire sur le coté freudien de la chose.