Manic Pixie Dream Bi

Une critique courte de La confusion des genres

Il y a quelque temps, j'ai dit qu'il était impossible de trouver un film français avec un personnage masculin bi qui se termine bien, et j'avais tort. J'ai en effet fini par regarder "La confusion des genres", où le personnage principal est un homme bi dont l'histoire se termine bien. Mais le film n'est pas sans critique, et je vais en parler aujourd'hui.

Je dois reconnaître que j'ai un avis assez partagé sur le film. J'avoue qu'avoir enfin une histoire où tout le monde accepte l'orientation sexuelle d'Alain, le personnage bi, c'est assez rafraîchissant. Alain a du succès avec les hommes, les femmes, et il y a 0 biphobie ou homophobie. Durant le film, il décide de se marier avec sa collègue et amie de longue date, Laurence, et elle accepte qu'il vive avec Christophe, le frère d'une de ses exs. Babette, l'ancienne copine d'un client d'Alain, emménage chez lui, voit Christophe, et ne dit rien, voir même elle tente de le séduire en changeant sa coupe de cheveux pour faire plus masculin, un point sur lequel je reviendrais.

L'absence de réaction négative néanmoins fait que le film ne passe pas exactement le test de Dumbledore, car si on remplace Christophe par une femme, l'histoire resterait globalement la même. Le personnage principal se fait repérer comme HSH assez souvent, mais la raison n'est pas clairement expliqué.

Un autre point positif, c'est que la bisexualité du personnage principal ne rends pas les autres personnages excessivement jaloux contrairement à d'autres oeuvres comme Les Nuits fauves, où Laura développe une jalousie assez maladive, détruisant un appartement et menaçant de se suicider, et où Sami se scarifie devant le miroir pour se purifier. Un autre exemple, c'est la réaction de la femme du personnage principale dans La triche alors qu'elle s'estime "moderne" et accepte que son mari aille ailleurs. En fait, la bisexualité est un non sujet. Le père de Christophe semble trouver normal qu'il sorte avec un homme du double de son âge tout comme sa fille, ex d'Alain et soeur de Christophe. J'ai un rapport assez ambigu envers ce genre de représentation idyllique, car même si ça donne l'impression que c'est normal, ça retire aussi toute démonstration de soutien, ce qui n'est pas encourageant.

Parmi les points négatifs, il y a tout d'abord le fait que personne ne dit jamais le mot bisexualité. Le film datant de l'an 2000 (soit 2 ans après la création du drapeau de la fierté bisexuelle), et donc 1 an après le passage du PACS, c'est pas totalement étonnant. En 2024, on entends pas souvent le mot au cinéma non plus, donc je ne m'attendais à un miracle à ce niveau là.

Plus gênant, il y a le fait que le personnage principal est montré comme très très confus, et relativement prêt à coucher avec tout le monde. Il couche avec sa collègue, il regarde le frère d'une de ses exs, le film commence par une séquence où défilent les partenaires dans son lit. Il est aussi attiré par Marc et par la copine de Marc, Babette. Il hésite à dire "oui" pour se marier devant toute sa famille. Le réalisateur le dit dans un article de 2003, c'est un film sur la confusion. Et je doit reconnaître que vu certains dialogues, c'est un peu l'impression aussi que ça me donne. Et je ne peux pas dire qu'il s'agit de la création d'un hétéro, car le réalisateur est aussi bisexuel d'après le même article.

Tout comme dans Les nuits fauves, le personnage a aussi plusieurs relations en même temps. Il va se marier avec Laurence, puis coucher avec Christophe, être attiré par Marc, par Babette (qui est aussi attiré par lui). Il est présenté comme hypersexuel, et ne sachant pas ce qu'il veut. On lui dit qu'il peut tout avoir, donc il tente d'avoir tout, et il réussit, plus ou moins.

J'ai dit que j'allais revenir sur la coupe de cheveux de Babette, et c'est parce que sa réaction me rappelle celle de Louise dans J'ai deux amours, quand elle revient avec un godemiché. On voit le cliché de la femme qui pense qu'elle doit se masculiniser pour pouvoir séduire un homme bi. Ça renforce un peu l'idée que la seule chose qui compte, c'est l'attirance envers les hommes pour une personne bisexuelle.

Et finalement, le point le plus négatif, c'est que j'ai l'impression d'avoir face à moi l'archétype du film français d'auteur, dans le sens où l'histoire part un peu dans tout les sens. Tout le monde couche avec tout le monde, et les personnages ont des motivations qui me semblent totalement étrangères. Alain accepte d'aller harceler Babette pour son client, ce qui me parait gênant. Mais pire encore, elle ne l'envoie pas totalement chier, et lui pardonne de revenir. De même, Alain et Laurence sont sans arrêt en train de se dire qu'ils ne doivent plus se voir, mais finisse par se marier quand même. Alain repousse Christophe plusieurs fois, mais ce dernier continue, et finalement Alain est ok.

Alain est clairement bisexuel/homosexuel, mais il semble le nier à chaque fois qu'on lui pose la question, et ça ne me semble pas très réaliste, surtout vu l'absence de rejet de son orientation. Je pense que j'aurais préféré un personnage fier de son orientation, tout comme Jean dans Les Nuits fauves. Car je veux bien croire qu'on puisse avoir des doutes, mais on parle de quelqu'un de 40 ans ayant eu de nombreuses aventures et une vie sexuelle épanouie. L'absence de lieu gay typique ou de considération gay font aussi que ça me semble pas des plus crédibles. Mais comme le réalisateur l'a dit, ça n'est pas un film sur la bisexualité mais sur la confusion. C'est donc normale que ça ressemble plus à un film sur un homme ayant plusieurs amantes qu'autre chose. La confusion se retrouve aussi dans le fait que Laurence ne se projette pas dans un rôle de mère, au contraire de Christophe et Alain, et dans d'autres passages (le bague de Marc pour Babette qui finit chez Laurence, Babette qui est une cible à tuer pour Étienne avant d'être séduite par lui, et la confusion de Marc/Etienne dans l'arc narratif, etc).

Au final, tout comme dans Gazon Maudit, l'horizon est le couple avec mariage, enfant et famille. On pourrait pointer que je réclame qu'un homme bi finisse heureux à la fin d'un film, puis que je râle quand il finit heureux en famille. Mais c'est pour moi un renforcement de l'hétéronormativité, et de la prépondérance de la famille dans l'imaginaire collectif, ce qui semble être une obsession franco-francaise. En 2024, j'ai pu finalement voir un film avec un homme bi heureux, mais c'est uniquement parce que la bisexualité est un détail de l'histoire détaché du monde réel qui sert à renforcer le thème de la confusion. C'est un progrès, mais on peut faire mieux.