Manic Pixie Dream Bi

La non existence du militantisme bi

Au moment ou je publie ce billet, la journée de visibilité bi est passé depuis quelques jours semaines, et un thread Twitter sur le sujet m'a fait réfléchir à la question du militantisme autour de la bisexualité. Et comme j'aime bien écrire sur ce blog, je vais lâcher tout ça ici, parce qu'après tout, c'est le but d'un blog.

Tout d'abord, regardons le thread en question. Il est rapide, il commence par la question des revendications en tant que bi, et l'autrice1 explique qu'il n'y a rien, à part la question de "on existe".

Une analyse rapide, mais totalement vraie. Mes passages à la Marche des Fiertés de Paris ont toujours été l'occasion de voir que le cortège de Bi'Cause est en général assez vide et l'explication qu'on m'a fourni est que les personnes de l'association sont aussi dans d'autres associations et vont donc sur les autres chars. En effet, quand on regarde les différentes journées spécifiquement organisées par l'association, comme la traditionnelle marche sous une pluie battante du 23 septembre, il y a en général assez de monde pour faire un char correct quand il fait beau.

Mais toute les revendications qui vont toucher les personnes gays et lesbiennes vont aussi toucher les personnes bies, donc le militantisme est globalement couvert. Et donc il ne reste que ce qui touche les personnes bies, à savoir la visibilité, son manque et ses impacts. Par exemple, l'injonction à choisir est une question de visibilité, car dans une société ou la monosexualité est le seul mode intelligible, seul le fait de choisir est compris, surtout quand on insiste fortement sur la différence H/F qui reste un pilier des luttes féministes. De même, la question de l'hypersexualisation est une question de visibilité dans le sens ou il s'agit d'avoir la "bonne" visibilité, le mot étant à prendre au sens ou la visibilité doit être plus inclusive et couvrir plus que des films pornos, pas au sens ou la sexualisation serait intrinsèquement mauvaise. Avec l'hypersexualisation viennent les questions de la promiscuité et des ITSS, et pareil, il s'agit encore de corriger la visibilité.

Mais aucune de ses questions ne requiert d'avoir une identité spécifique. Par exemple, le collectif #SEOLesbienne a travaillé pour que Google corrige la proéminence du porno quand on cherche "lesbienne", mais aussi "jeune femme noire" ou "jeune femme asiatique" si j'en crois le Figaro, et il semble que c'est aussi le cas pour "bisexuelle", si j'en crois une rapide recherche sur Google à des buts purement scientifiques.

De même, la lutte contre la stigmatisation autour des ITSS n'est pas propre aux personnes bies, et la seule raison d'associer ça à la bisexualité, c'est le traitement historique du VIH. Je pense qu'après 40 ans d'épidémie, le message a du changer (au moins en France).

Donc il ne reste que la question du choix, et c'est ce qui ressort des réponses au thread originel qui tournent quand même beaucoup autour de ça.

Si la bisexualité était l'orientation par défaut dans la société et qu'on s'attende à ce que tout le monde soit ok pour sortir avec tout le monde (dans la mesure de la légalité et du consentement), la question du choix ne se poserait plus. Mais ça, personne ne le veut. Les personnes gays et lesbiennes ne le veulent pas, car ça impliquerait d'effacer leur existence et leur spécificité. Les personnes hétéros ne le veulent pas non plus, car ça permet de garder l'illusion de la normalité crée par les normes sociales existantes, un point explicité par Mary McIntosh dans son article The Homosexual Role2. Et les différents groupes sous l'ombrelle "bi" ne le veulent sans doute pas non plus, car ça les ferait tous disparaître comme l'hétérosexualité s'efface en étant ambiante, et aucune communauté n'œuvre à sa propre disparition.

J'irais même jusqu'à dire que l'article de McIntosh amène un point assez critique, à savoir que l'homosexualité n'est intelligible que parce qu'elle remplit un rôle pour la société en général, à savoir distinguer le mâle "correct" (comprendre dans ce cadre, hétéro) du mâle incorrect (comprendre, tout le reste). Et c'est dans ce cadre que l'on doit comprendre les questions sur l'absence de loi autour de l'homosexualité féminine qui n'est généralement pas réprimée au même niveau que le sexe entre hommes, que ça soit dans l'Europe du XIXe siècle (minus l'Autriche), le Japon ou plus récemment, Singapour.

Et si on regarde les origines de la transphobie, c'est sans doute la même chose. La transmysoginie dérive en partie de l'homophobie, car agir comme une femme (que ça soit se soumettre sexuellement à un homme, ou s'habiller comme une femme) n'est pas le comportement attendu d'une personne qu'on a assigné homme. À contrario, on entend rarement parler de transmisandrie. Via ce prisme d'analyse, le fait que la figure de l'inverti soit là pour servir d'épouvantail pour montrer ce qu'une personne normale (e.g., cis-hétéro classique) ne doit pas être pose la question du rôle de la personne bisexuelle. Comme on le voit dans l'article, la bisexualité a historiquement été utilisé pour distinguer les "vrais homosexuels" (comprendre, ceux qu'on ne peut pas corriger) des autres (comprendre, ceux qui peuvent changer). Et c'est via ce rôle social imposé que la question du choix est venue sur la table.

Si il y a un rôle social, alors il faut le questionner. Mais le questionner revient à potentiellement le remettre en cause, et personne ne pousse vraiment vers ça comme énoncé plus haut.

Et c'est peut être pour ça que le militantisme bi patine, car ça ne semble pas s'orienter vers la résolution du principal3 problème qu'il faut résoudre. On pourrait me pointer que les derniers sondages semblent me contredire, et que les personnes bisexuelles sont les plus nombreuses dans les jeunes générations, mais ce n'est pas la formation d'une identité qui est importante mais la revendication à la fluidité sexuelle. L'identité n'est qu'un moyen pour fédérer un groupe et pas une fin en soi. Et comme le souligne Michel Foucault, l'existence d'une identité homosexuelle (et ses dérivées ultérieures et ses changements de nom), c'est assez récent à l'échelle de l'humanité. De plus, si je regarde les 20 dernières années et l'expérience du mouvement MOGAI sur Tumblr, on peut voir que les forces médico-scientifiques du XIXe siècle visant à tout catégoriser sont encore là, et que ça ne va pas disparaître. Si j'en crois mes lectures, Michel Foucault parle en partie de ça via son concept de pouvoir pastoral qui, je cite, "procède par démultiplications des sexualités singulières", ainsi que par le fait de demander à chercher sa véritable identité. Le philosophe ayant écrit ça en 1984 donc avant la montée de la théorie queer, et visiblement avant l'injonction à la clarté dans les écrits, je suppose qu'on peut l'appliquer aussi aux identités de genre, si toutefois ma compréhension du résumé est correct4.

Pour tout ce que je reproche à Uncoupled, je doit reconnaître après réflexion que le choix de parler de fluidité est plus judicieux que je l'ai dit il y a quelques semaines.

Donc peut être qu'à terme, la question ne se posera plus quand on aura 80% de PdM, et qu'il faudra finalement accepter à ce moment qu'on redevienne invisible. En attendant, ce moment, la question de la forme du militantisme se pose, et je ne suis pas sur que demander plus de visibilité pour le fait d'être visible soit la solution. Je suppose qu'une façon d'avancer serait d'avancer une forme de militantisme pour le polyamour, car ça serait une première façon de visibiliser la bisexualité, surtout vu les points communs entre les deux.

Je sais qu'on va sans arrêt essayer de lutter contre le préjugé qu'être bi, c'est vouloir plusieurs relations, mais il faut reconnaître que c'est une représentation qui est immédiatement visible. Et que plutôt que de tenter de séparer le stigmate du polyamour de la bisexualité en parlant de la bisexualité hors du polyamour, collons plutôt le stigmate sur des couples hétéros, car c'est le meilleur moyen de le détruire. Après tout, l'hétérosexualité était vu comme une attirance maladive envers les personnes d'un autre sexe avant d'être normalisé car plus répandu. Faisons pareil avec le polyamour, et le stigmate partira de lui même.

De même, plutôt que de chercher à utiliser les labels, une forme plus productive de militantisme serait de positionner la fluidité comme étant une bonne chose, un axe politique qui va clairement faire grincer des dents vu l'attachement conjoint des personnes monosexuelles pour leur non fluidité.

Mais en attendant qu'un militantisme avec lequel je suis d'accord apparaisse, je vais être hypocrite et ne pas prêcher ce que je dit. Je vais rester dans la placard en jouant de l'invisibilité avec les gens qui savent pas, et garder mon drapeau pour les gens qui savent.

1

Il n'y a pas de pronoms sur le compte, mais il y a des alias listés utilisant le féminin dans la bio.

2

Un article qui va aussi mentionner l'utilisation de la bisexualité comme un diagnostique séparé de l'homosexualité véritable.

3

Dans son propre cadre, car bien sur, je pense qu'il y a des problèmes plus importants comme la faim dans le monde, le changement climatique, le sexisme, etc.

4

Sinon, la source est à la page 64 du tome I de l'histoire de la sexualité, d'après le livre que je suis en train de lire.