Des vaccins et des singes
À l'heure ou j'écris ces lignes, la campagne de vaccination pour la variole du singe démarre doucement. Mais les réactions me laissent fortement songeur et m'inspirent pas mal de réactions sans doute non fondées que j'ai envie de partager dans un désordre le plus complet.
On ne peux parler de la maladie sans évoquer la question de l'homophobie plus ou moins latente qui tourne autour. De ce que je vois, l'ambiance en France n'est pas à la stigmatisation débridée comme aux USA (via par exemple Marjorie Taylor Green et sa désinformation) même si les militants antivaccins habituels semblent squatter Twitter et les hashtags associés pour expliquer que ça rentre dans un vaste plan de Bill Gates, Georges Soros et Klaus Schwab via les vaccins à ARN messager.
En France, j'ai l'impression que le bruit est surtout le fait des divers associations LGBT autour du VIH, sans doute parce que c'est leur domaine d'expertise. Et c'est sans doute pour ça que la campagne me semble plus avancée qu'ailleurs si j'en crois les échos que j'ai eu. Sans surprise, les endroits les mieux organisés semblent être ceux avec une forte présence d'associations LGBT comme New York (ville où ACT UP est née), ou San Francisco (la Mecque du monde gay anglo-saxon moderne). J'ai entendu qu'il n'y a rien de spécial au Portugal, qu'il n'y a pas de campagne spécifique de vaccination à un niveau fédéral aux USA et que c'est relativement calme à Berlin (malgré un nombre de cas élevés).
La France est actuellement le 5ème pays avec le plus de cas au monde, donc c'est soit signe qu'on prends ça au sérieux avec plus de tests, soit signe qu'on a plus de cas, ou soit signe qu'il y plus de communications.
Pour le moment, les rendez-vous pour une vaccination partent vite. Le gouvernement a annoncé l'ouverture d'un centre spécifique à Paris il y a quelque jours en même temps que la mise à disposition de doses de vaccins supplémentaires, mais visiblement, ça ne suffit pas car le premier rendez vous que j'aurais pu avoir était pour le début du mois de septembre, et il a disparu avant que je me décide. La France annonce avoir sorti 42 000 doses de vaccins d'une réserve stratégique et ça semble beaucoup si on l'ajoute aux 32 000 doses existantes.
Mais si on estime la population non hétéro à 6%, qu'on divise par 2 pour se restreindre aux hommes, et qu'on rajoute une estimation généreuse de 30% de non monogames parmi cette population (comme indiqué ici, ici et ici), on se retrouve avec 1% du pays. La population d'Île de France est estimé à 10 millions de personnes, c'est la région la plus touché et la plus dense du pays, et sans doute celle avec le plus de personnes LGBT. Il y a donc à vue de nez 100 000 personnes éligibles à la vaccination si on se restreint à "Hommes ayant du Sexe avec des Hommes(HSH) multipartenaires", sans rajouter les TdS et les personnes trans non comptées dans la catégorie d'avant. Comme il faut entre 1 et 3 doses par personne, on peut vacciner dans les 40 000 personnes dans toute la France. Si on en garde 15% pour la capitale, ça donne dans les 6600 personnes. Surprise, ça fait beaucoup moins que les 100 000 requises sur Paris et sa banlieue pour les HSH multipartenaires. Mais j'imagine que des commandes sont en route.
Personnellement, je ne vais pas blâmer trop le gouvernement. Primo, il y a eu une réaction relativement rapide à l'échelle d'une administration, et c'est mieux que rien. Secondo, on a un vaccin et pour le moment, la mortalité est assez basse. Je comprends bien que ça soit gênant et douloureux et que ça puisse rapidement devenir un problème mais on est beaucoup moins dans l'urgence qu'en 2020 avec SRAS-CoV2, et les poxvirus sont bien étudiés. Et tertio, le pays qui a bâché Roselyn Bachelot pour avoir pris trop de vaccins contre la grippe H1N1 il y a 10 ans ne peut pas vraiment râler trop fort sur le fait de ne pas avoir assez de réserves, surtout après avoir ralé sur le confinement il y a 2 ans.
Toutefois, les examens des chiffres ne m'interrogent pas autant que le traitement de la maladie et le non dit vis à vis de sa transmission. Bien que ça ne soit pas une MST, la question du pourquoi ça tombe sur les communautés de mecs gays et bis se pose.
Contrairement au VIH à l'époque, on connaît la variole du singe. Pour commencer, elle n'a rien de lié aux singes à part qu'elle a été détecté sur un singe en premier comme l'explique un thread twitter des plus explicatifs (et j'ai vérifié sur Wikipedia). En effet, les virus peuvent passer d'une espèce à une autre avec plus ou moins de facilité donc le nommage n'a pas trop de sens. Et le thread se conclue que l'éradication de la variole a sûrement ouvert le champ a un autre virus de la même famille, et c'est pour ça qu'on voit une épidémie maintenant.
Donc contrairement à la pandémie de 2020 ou à l'épidémie du VIH, on sait comment la variole se transmet (par contact physique et par des gouttelettes), on a des vaccins approuvés et éprouvés, avec du stock mais pas assez de monde pour vacciner. Les différents articles parlent de 90% d'efficacité après une seconde dose, ce qui est plutôt pas mal même si c'est en dessous des vaccins contre le COVID-19.
Et pourtant, on restreint (pour le moment) la vaccination aux hommes gays/bis, aux TdS, aux personnes trans, et surtout, aux personnes ayant des partenaires multiples parmi ces 3 groupes. D'un coté, ça a du sens car l'épidémie se transmets dans une population spécifique avec des modalités spécifiques et on a un stock limité et il faut optimiser. Mais de l'autre coté, la transmission semble se réaliser suite à un certain type de contact (comprendre, intime) et des contacts qui ne sont pas l'apanage des populations ciblées. Ce n'est pas une MST, donc la transmission peut arriver aussi bien dans une boite de nuit que dans le RER1, le web indiquant "contact physique direct avec les lésions cutanées" (e.g., toucher les plaies), les fluides corporels (donc se faire éternuer dessus) et les contacts avec les objets contaminés. Ce ne sont pas des activités propres à des populations spécifiques. De plus, le virus semble être viable pendant 3 jours dans l'eau tiède (comme les égouts), ce qui laisse quand même des risques en dehors des simples actes intimes. Certes, c'est largement moins que le virus de Norwalk qui tient plusieurs semaines voir des mois et qui est la cause des épidémies de gastros, mais plus que le SRAS-CoV2 qui tient vraiment pas longtemps2 en dehors de l'organisme.
Et donc, ce qui n'est pas explicitement dit, c'est que les personnes ayant des contacts intimes sont plus susceptibles d'être infecté, et que changer de partenaires va accroître le risque (ce qui semble une évidence quand on y pense). Mais le spectre des années 80 pointant le bout de son nez, je pense qu'on veut éviter de trop mettre en avant la question du contact, car ça risque de très vite évoquer un imaginaire autour de la lèpre et du SIDA. La perception de ce dernier a en partie changé quand Lady Di a serré la main d'un homme pour convaincre que la maladie n'était pas transmissible par ce vecteur.
De ce que je sais, la plupart des pays qui proposent un vaccin se contentent de cibler les HSH (e.g., les hommes qui couchent avec des hommes). L'Allemagne ne parle pas des personnes trans, les USA non plus.
Et j'applaudirais volontiers l'ouverture française si ça n'était pas légèrement teinté de sexisme. En effet, les FSF (femmes ayant du sexe avec des femmes) ont sans doute aussi des partenaires multiples (en tout cas, certaines autour de moi en ont). Certes, les lieux de dragues lesbiens se sont raréfiés depuis des années, mais les soirées existent encore. Et supposer que les hommes ont plus d'aventures sexuelles que les femmes est sans doute un peu essentialiste, même si c'est ce qui revient assez souvent pour expliquer la fermeture des bars lesbiens. Et l'ouverture de la vaccination aux personnes trans semble surtout avoir pour but l'inclusion des femmes trans, car on peut supposer que les hommes trans comptent dans la catégorie "homme". Donc ce qu'on peut comprendre, c'est qu'on présuppose qu'une femme trans va avoir la même libido qu'un mec cis, donc les mêmes pratiques et les mêmes risques. L'absence des lesbiennes cis est un point curieux à creuser à mon sens.
D'ailleurs, parlons des risques. La variole classique (celle qu'on a éradiqué dans les années 1970) n'avait pas besoin de contact sexuel pour se transmettre, c'était par voie aérienne (comme le SRAS-CoV2) ou contact cutané (comme les autres varioles dont celle du singe). Et la variole du singe semble suivre les mêmes modalités bien que les détails doivent différer. Les chiffres parlent de 95% de cas lié à un contact sexuel entre hommes, mais un point qui est passé sous silence est que les mêmes chiffres parle de 41% de cas de personnes vivant avec le VIH. Et la proportion de personnes avec le VIH chez les HSH n'est pas de 41%. Comme dit plus haut, si on suppose 100 000 HSH multipartenaires sur Paris, on parle de 5000 cas par an sur toute la France, soit 830 sur l'Île de France via une règle de 33. Et c'est 830 toute population confondue, donc avec les femmes, les personnes hétéros et les personnes qui utilisent des seringues. Si on regarde les cas de SIDA, on voit qu'il s'agit de 10% des cas d'infections en partie grâce à l'accès à la PrEP et autres médicaments. Et donc on peut estimer le nombre de cas de SIDA à 100 par an sur l'Île de France. Il me parait difficile de supposer qu'avec 100 cas par an depuis 10 ans toute population confondue, on arrive à approcher les 41 000 personnes avec le SIDA dans la communauté HSH multipartenaire en IDF.
Il y a donc une surreprésentation qui peut s'expliquer pour deux raisons. La première est que le SIDA va rendre le système immunitaire plus faible ce qui laisse la voie libre pour la variole du singe et que la maladie circule sans être très symptomatique. La seconde est qu'une personne immunodéprimée va plus faire attention à sa santé, et va donc aller à l'hôpital plus facilement, et que la maladie circule mais que les gens ne se font pas examiner autant. Les deux hypothèses impactent la compréhension de la maladie, mais de manière différente.
Si on regarde les chiffres en France, une distinction est fait entre immunodéprimés et porteurs du VIH, et on voit respectivement 4.5% et 26%. Bien qu'on puisse être immunodéprimé sans avoir le VIH (greffe d'organe, etc), je pense qu'il s'agit d'une minorité d'immunodéprimés dans la population en question par rapport aux personnes avec le VIH, et les chiffres semblent invalider la première hypothèse. Et donc, cela laisse le champ libre à la seconde, à savoir qu'il est possible que le virus circule mais que la communauté gay soit celle qui s'en préoccupe le plus. Le fait de voir une portion assez conséquente de personnes sous PrEP est aussi un signe d'un suivi accru car la PrEP n'est pas disponible en pharmacie et requiert un suivi médicale comme l'a fait remarquer mon coloc.
Et en cherchant la date de fin de la campagne de vaccination contre la variole en France4, je suis tombé sur une question au gouvernement assez prophétique:
Il lui demande s'il ne pense pas, en revanche, que d'ici 15 à 25 ans, s'il existe toujours des foyers endémiques, il existera alors un risque de réapparition de la variole chez l'homme, maladie qui est malheureusement mortelle dans un cas sur deux ?
La question datant de 2001, on note que 2022 tombe pile poil dans la fourchette 2016-2026.
Pour conclure, avec le retour des vacances scolaires dans quelques semaines et le grand brassage que ça va entraîner, j'ai bien peur que l'épidémie décolle vraiment d'ici 1 mois et demi en région parisienne vu la densité de population. Le bon coté, c'est qu'on a un vaccin et qu'on sait gérer les variantes de varioles. Le mauvais coté, c'est que le secteur hospitalier est sur les genoux, et que les homophobes sont déjà en train de sauter sur ça. On vaccine 1500 personnes par jour dans tout le pays, soit 13 en moyenne par jour et par centre. Je suppose qu'il y des endroits plus efficaces que d'autres, et qu'on tourne plutôt à 50 par jour dans les grands centres parisiens. Ça reste néanmoins assez peu à mon sens. Et quand on regarde la production du vaccin de 3ème génération, la capacité actuelle est de 30 millions de dose par an, soit tout juste de quoi fournir 1 dose par personne pour la Californie.
Et en parlant d'ailleurs, je trouve amusant de voir que la communication au Japon ne parle pas du tout de la question sexuelle, et je me demande comment ça va évoluer la bas vu la rapidité historique du Japon à fermer ses frontières.
Je sais que ce n'est pas le plus cohérent de mes articles, mais ayant trouvé des tas de documents intéressants, j'ai eu envie de partager mes réflexions et de ne pas les garder pour plus tard.
La différence entre le RER et le RAIDD étant que personne ne danse sur la musique dans le RER.
J'avais lu des chiffres de l'ordre de la dizaine de minutes. Ça semble peu, mais comme les malades passent leur temps à respirer et à expulser du virus, ça compense.
C'est une approximation, car en pratique, il y a sans doute plus de personnes LGBT dans les grandes villes qu'ailleurs.
C'est non obligatoire depuis 1979.