Manic Pixie Dream Bi

Ou sont les hommes trans ?

Aujourd'hui, j'ai été fait un tour à la Fédération Nationale d’Achats des Cadres, également appelé la FNAC, car ma librairie favorite est fermée pendant les vacances. J'ai profité de l'occasion pour aller faire un tour au rayon BD, qui n'a pas été suffisamment renouvelé, puis j'ai cherché longuement le rayon "féminisme"1, en vue de me procurer "Steaksisme", de Nora Bouazzouni, qui était sur ma liste de livre à acheter depuis quelque temps, et l'interview de l'autrice dans l'épisode 60 de Mansplaining m'a rappelé que je voulais le lire.

Hélas, je n'ai pas réussi à le trouver dans les rayons, j'ai donc agi en adulte raisonnable et après avoir longuement hésité à aller voir le vendeur du rayon, j'ai finalement ... décidé de prendre un autre livre.

Et ce livre, c'est "Transfuge de sexe", d'Emmanuel Beaubatie. Il est intervenu dans l'épisode 317 de "Sortir du patriarcapitalisme" en septembre 2020, et j'avais hâte de le lire.

Au moment où j'écris ses lignes, je n'ai lu que l'introduction du livre, mais je pense déjà qu'il va me plaire, car le livre semble confirmer certaines de mes impressions, et j'espère répondre à certaines questions.

Par exemple, une des impressions que j'ai, c'est qu'on ne voit quasiment pas les hommes trans dans l'espace publique. Bien que ça ne soit pas représentatif, je ne connais aucun homme trans personnellement, et bien que je puisse en citer plusieurs assez rapidement (Eliott Page, Chad Bono, Paul Preciado, Buck Angel), j'ai un peu plus de mal à en trouver que des femmes trans célèbres (Catlyn Jenner, Les soeurs Wachoski, Chelsea Manning, Emily Gorcenski, Anna Anthropy, Charlotte Clymer, Camille Cabral, Nathalie Wynn, etc). Et je connais aussi personnellement plus de femmes trans et de personnes non-binaires que d'homme trans.

Quand je regarde Wikipedia en français, la catégorie "femme trans" compte 214 articles (plus une centaine dans des sous catégories), tandis que la catégorie "homme trans" aligne 78 articles. Wikipedia se basant sur la notoriété à travers ses sources et donc reflétant plus ou moins la visibilité publique, ce n'est donc pas uniquement moi. Ce n'est pas non plus uniquement un souci lié à la francophonie, car le même constat existe sur la version linguistique anglaise, avec 553 face à 142.

Donc je me pose la question2 de savoir où sont les hommes trans.

Au début, je me suis dit que c'était une question de visibilité uniquement, et donc qu'il y a une différence à ce niveau. Sur la base de cette hypothèse, j'ai pensé à divers raisons plus ou moins exprimables.

Par exemple, ça peut être une question de socialisation. Si on a appris plus souvent aux hommes trans dans l'enfance à s'effacer, et l'inverse aux femmes trans, alors ça peut expliquer des choses. En général, c'est un sujet qui est passé sous le tapis, car ça donne quand même beaucoup de munitions aux TERFs (et les TERFs, c'est mal, et ça me parait quand même sain de garder les discussions pour plus tard si ça permet d'éviter la violence TERFique maintenant). Et si on considère que les personnes trans ne sont pas un monolithe, alors il est probable qu'il y est suffisamment de variation sur l'adhésion à des rôles genrés et de la déconstruction.

Une autre hypothèse est que les hommes trans ayant moins de problèmes (du fait qu'ils sont perçus dans l'espace publique comme des hommes, que la transition est plus facile et moins violente), ils parlent moins. Globalement, les TDOR parlent beaucoup plus de femmes trans que d'homme trans, ce qui est un reflet de la violence que subissent les femmes (et pour une grande part, les travailleuses du sexe), et donc que ne subissent pas les hommes, cis et trans.

Une autre hypothèse souligné par un.e de mes ex est la transition vers le genre masculin est plus simple. La testostérone agit rapidement (pilosité sur les bras au bout de 3 mois, changement de voix au bout de 6 mois, pilosité sur le visage en 1 an, et personne ne va trouver anormal d'avoir peu ou pas de barbe pour un mec), les opérations chirurgicales sont plus courantes pour la plupart. Les mastectomies et les hystérectomies ne sont pas réservées aux hommes trans, et bien que la phaloplastie (ou opération proche) le soit un peu plus, je suppose qu'une prothèse externe est une option, et c'est de toute façon non visible (donc ça va moins influer sur le traitement de la personne par la société).

Au contraire, les femmes trans doivent prendre plus d'hormones (anti androgéne et oestrogène), qui vont avoir un effet visible plus lent (1 ou 2 ans pour la poitrine et la diminution de pilosité), et les opérations (vaginoplastie, chirurgie faciale, vocale, augmentation mammaire) sont plus nombreuses, ou réservées aux femmes trans (et donc moins courantes). Et contrairement à un pénis, une vulve ne se remplace pas facilement par une prothèse. Et on va plus facilement noter une femme ne correspondant pas aux standards féminins que l'inverse, ce qui va entraîner sans doute plus de soucis.

Et qui dit plus simple dit moins coûteux, et donc va entraîner moins de précarité, et moins de précarité implique aussi moins de raisons de réagir.

Mais finalement, la raison que je pense être vraie est qu'il y a peut être simplement moins d'hommes trans tout court. Si le genre est avant tout un fait social, alors il n'y aucune raison d'avoir une forme de parité, et l'intro du livre le dit, les personnes assignées femme se disent plus souvent NB pour divers raisons.

Par exemple, l'inclusion de "femmes et personnes NB" dans les catégorie de diversité de genre fait qu'on a tendance, pour citer une personne NB du boulot, à voir les enbys comme "women light". Et on m'enlèveras pas de l'esprit que le slogan "men are trash" a sans doute aussi aidé à ce que des gens qui ne se reconnaissent pas dans la catégorie "femme" ne se retrouve pas non plus dans la catégorie "homme" vu sa diabolisation dans certains milieux.

Bref, je suis sur qu'il y a des raisons, et j'ai hâte de voir ce que le livre va dire.

1

Section sociologie, si vous voulez savoir. Elle est à l'étage des livres, au fond, juste avant les BDs.

2

Sur une musique de Patrick Juvé.