Manic Pixie Dream Bi

Rencontre d'un préjudice ordinaire

Avec la fin de la vague Omicron en France, j'ai commencé à m'autoriser à ressortir dehors et à revivre un peu. Après 2 ans de pandémie et d'isolation assez poussée, 3 doses de vaccins et plus de sport en 1 an que dans les 10 années avant, j'ai fini par craquer et essayer de retrouver une vie sociale. Et c'est lors de ce retour à des activités normales que j'ai pu être confronté à un préjudice classique envers les personnes bies.

Pour remettre le contexte, j'ai accompagné un ami qui a rendu visite à une de ses potes d'école préparatoire. Notre visite ayant été fait un peu à l'arrache, on s'est retrouvé à monter un meuble et à boire des verres en terrasse. Le séjour était fortement marqué par des discussions de relations de couple, notre hôte (que j'appellerais Ludivine, car c'est un chouette prénom) étant nouvellement célibataire et mon ami étant dans une relation pas des plus fonctionnelle. Et lors de la seconde soirée, nous nous sommes retrouvés donc sur une terrasse chauffée dans un bar du centre ville, à parler des applis de rencontre, des célibataires que connaissent les gens du groupe, et bien sûr, de savoir si les célibataires en question sont attirés par les femmes ou pas, car c'est toujours louche d'avoir 0 relations. Bien qu'étant basé sur des suppositions dont les fondements sont discutables, ce n'est pas de l'amatonormativité ordinaire dont je veux parler. Dans la conversation, Ludivine a commencé à rectifier sa voisine qui spéculer sur l'orientation sexuelle d'un collègue à elle en disant quelque chose comme "non, mais ce n'est pas un souci qu'il aime les hommes tant qu'il aime aussi les femmes", un point qui est mal exprimé mais qui dans le contexte était la pour marquer l'acceptation.

Et ça aurait pu s'arrêter la, si ça n'avait pas été suivi par une remarque sur le fait qu'elle aurait un peu peur pour son couple, avec tout les sous entendus que je connaît pour les avoir vu disséqué 100 fois sur le web. Ne voulant ni m'outer moi même devant des inconnues, ni vouloir lancer un débat (surtout après 2/3 verres), j'ai laissé passer la remarque. 30 secondes après, je craque et je fait remarquer le double standard par rapport à un mec hétéro, et qu'un mec bi va de toute façon avoir moins d'hommes que de femmes intéressés par lui, vu la population homosexuelle, et que de toute façon, c'est pas différent avec les hétéros. Le sujet de discussion s'est arrêté la, et je pense que tout le monde a oublié ce détail, mais pas moi.

On a tendance à présenter les préjudices comme étant des choses hautement dommageables envers la personne visé, mais ici, ce n'était pas le cas, en partie parce que finalement, je me rends compte que c'est une position qui peut se comprendre.

Je suis moi même à la fois polyamoureux et bisexuel. Par définition, ça implique d'être en relation avec d'autres personnes polyamoureuses, et en général aussi des personnes sous une ombrelle "queer". Donc la crainte d'avoir mon/ma partenaire partir, j'ai du lutter contre plusieurs fois, et j'ai fini par comprendre d'où ça vient. Ça va paraître sans doute risible, mais malgré le fait d'avoir un certain succès dans les relations, j'ai toujours un sentiment d'avoir loupé ma vie amoureuse, car j'ai vécu seul très longtemps. Donc se dire "la personne avec qui je suis va ailleurs, donc je ne suis pas assez pour elle" est quelque chose d'assez ancré dans mes réactions. Et il va sans dire que le polyamour va naturellement renforcer ce raisonnement foireux. Je dit foireux, parce que finalement, si notre partenaire reste avec nous quand la personne a le choix d'aller ailleurs, c'est bien signe qu'il y a une raison de rester.

Et sortir avec une personne bie, c'est pareil. Pour des raisons d'estime de soi, on va forcement se comparer à d'éventuelles personnes, mais la différence est qu'en général, on arrive toujours à se dire qu'on peut fournir pareil. Quand on est en couple avec une personne bisexuelle, on va se dire qu'on ne peut pas proposer "tout". Par exemple, à force d'entendre que les hommes sont à jeter ("men are trash"), j'en arrive à ne pas comprendre pourquoi des femmes veulent être avec moi. Et j'imagine que c'est pareil pour Ludivine. Elle est célibataire, va sur les sites de rencontre et va forcément subir l'influence de la société qui va dire que si elle est seul, alors quelque chose ne va pas. Se demander ce que sa vie serait en sortant avec un homme bi, ça la confronte à l'idée de devoir se comparer face à d'autres femmes, mais aussi face à d'autres hommes, et elle doit arriver à la même conclusion que tout le monde, à savoir plus d'insécurité vis à vis d'elle même.

Bien sur, on peut aussi blâmer la représentation de la bisexualité dans les médias (et la luxure implicitement associé), mais pour être franc, je pense que c'est un facteur minoritaire pour les hommes bis, vu qu'on n'existe quasiment pas à ce niveau. Il me semble plus probable que ça soit un héritage de l'homophobie sociétale du passé qui a obligé les hommes gays à se marier avec une femme (pour la respectabilité), puis à vivre leur amours en secret (parce que l'inverse était interdit). Ce genre d'histoire influence durablement une société, et même si on est plus tolérant de nos jours, ça n'a fait que changer une partie de la perception, à savoir que c'est ok d'aimer les hommes quand on est un homme. Mais le désir d'un homme en couple avec une femme pour un autre homme n'a pas été déconstruit par tout le monde, ni vraiment un sujet discuté.

Une fois tout ça pris en compte, je me dit que peut être, j'aurais du (re)faire mon coming out devant des inconnues. Qui sait, peut être un jour, je serais capable de le faire sans sentir d'appréhension à l'idée de parler de ma vie.