Et une marche des fiertés dans l'Ouest parisien ?
Pour des raisons historiques, les Marches des Fiertés (ou Pride) se déroule durant le mois de juin pour célébrer les émeutes de Stonewall, largement reconnu comme le démarrage du mouvement moderne pour les droits LGBT. Mais je pense qu'il est sans doute temps de se poser la question de remettre en cause la date et le lieu pour divers raisons que je vais exposer ici.
Tout d'abord se pose la question du quand. La fin du mois de juin est en général la date choisie pour la marche des fiertés de Paris, un choix partagé par d'autres villes comme New York, San Francisco, Berlin.
Mais il suffit de s'éloigner un peu de Paris pour voir qu'il y a aussi d'autres dates possibles. Montréal fait une parade au début de juillet tout comme Londres. Des villes en France comme Toulouse, ou Bordeaux font ça entre septembre et octobre, tout comme Tucson et sans doute d'autres villes. Je suppose que dans le cas de Tucson, c'est une question de bon sens par rapport à la chaleur et que dans le cas de Bordeaux et Toulouse, c'est pour éviter la concurrence avec Paris.
Le choix symbolique du mois de juin est à mon sens aussi à relativiser. Pour commencer, les émeutes de Stonewall ne sont pas les premières émeutes face à la répression policière. On peut citer en 1966 les émeutes de Compton, un information remise au goût du jour dans la version 2019 des Chroniques de San Francisco. Encore avant, il y a eu des troubles à Los Angeles en 1959. Il faut aussi noter que ça ne concerne que les USA, et qu'il y a eu un mouvement en faveur du droit des homosexuels avant et ailleurs. On peut citer les travaux de Magnus Hirschfeld, mais aussi les publications de Edward Carpenter, John Addington Symonds ou Havelock Ellis et Edith Ellis en Europe et à la fin des années 1800. Le choix d'un évènement vu comme violent est aussi un positionnement politique qui vise à placer une forme de radicalité au centre de la manifestation. Mais l'émergence en France et ailleurs de contre manifestations semble toute fois montrer que la radicalité s'est dissoute à un moment, car il n'y aurait pas besoin de revenir aux racines si il n'y avait pas eu un éloignement. Le choix du mois de juin est aussi problématique pour d'autres raisons. Avec les changements climatiques qui vont arriver dans les 30 prochaines années, la température à Paris ne peut que grimper, et il est déjà difficilement soutenable de manifester en juin pour moi. Avoir une marche à un autre moment serait un moyen simple d'éviter ça. L'autre partie à remettre en cause est le lieu. Dans le cas de Paris, le lieu de départ change (place de la Madeleine 2018, Montparnasse 2019, Saint-Denis 2021), mais celui d'arrivée ne change pas trop et ça se termine toujours sur la place de la république. C'est sans doute du à des questions logistiques, car il faut une place assez grande pour les concerts et pour la foule qui s'accumule. Il y a quelques autres choix possibles comme le Champ de Mars, les Invalides, le parc de la Villette, mais je suppose qu'il faut aussi obtenir les autorisations et qu'il faut des artères assez grande entre le départ et l'arrivée pour la foule. Le choix du lieu de départ de l'année 2021 est assez intéressant de part son ambivalence politique. Le but avoué est de changer la vision des banlieues1 comme dit par un fondateur d'une association locale. Mais à coté de ça, cela paradoxalement renforce l'idée qu'il y a un souci dans ces banlieues, une tendance homonationaliste qu'on observe aussi par exemple à Berlin comme décrit dans Queer Lovers And Hateful Others. Ce n'est pas la faute de l'équipe d'organisation, qui a déjà fait une première marche en 2019, mais la tendance naturelle des autres divisions et problèmes à ne pas disparaître par magie (intersectionnalité, etc). Bien que les détails soient franco-français, la tendance de fond ne l'est pas. Par exemple, les divisions au sein de la communauté LGBT en Afrique du Sud font qu'il y a 3 parades différentes à Johannesburg, chacune utilisant un lieu différent pour marquer ses choix, l'article pointant que le lieu des marches est historiquement une source de conflit.
Donc le lieu de la marche mis en avant, que ça soit le départ, l'arrivée ou les deux peut être pris de deux façons. On peut le prendre comme étant le reflet de qui va marcher et donc s'exprimer, ou on peut le prendre comme le reflet des destinataires du message porté par l'organisation d'une marche. Une marche à Saint-Denis peut être vu comme une marche par les personnes de Saint-Denis tout comme une marche à destination des gens de Saint-Denis, et les 2 interprétations n'ont la même valence politique.
Donc je propose de retourner ça en organisant la prochaine marche à Versailles, au début du mois de mai.
D'un point de vue logistique, Versailles a 3 gares. La ligne C étant capable de prendre en charge tout les touristes en été, elle devrait tenir la charge. Il y a aussi la ligne L, le tram T6 et l'autoroute A13. Il y a des grandes allées et de l'espace. Et c'est en banlieue parisienne, donc ça serait dans la droite lignée de montrer qu'on peut être queer en banlieue, même les plus hostiles à la diversité sexuelle comme l'ouest de la capitale.
D'un point de vue météo, le début du mois de mai est en général favorable à des sorties, et on peut rattacher ça à divers évènements, que ça soit l'attaque de l'institut de sexologie de Magnus Hirschfeld, l'emprisonnement d'Oscar Wilde ou l'émeute de 1959 à Los Angeles. Choisir un évènement européen serait pas mal, mais tout ce qui permet de faire une remise à zéro serait utile, surtout si le but est moins de fêtes et plus de rébellion. J'ai une préférence pour l'attaque de l'institut, car ça conjugue à la foi la lutte contre le fascisme (et donc l'anti sémitisme) et la lutte contre l'obscurantisme tout en restant assez consensuelle pour le grand public.
D'un point de vue politique, le choix de Versailles n'est pas anodin. Saint Germain en Layes nous a donné Agnes Cerighelli, mais Versailles est aussi un des lieux centrales de la droite catholique. Le mouvement de la manif pour tous2 organise régulièrement des manifestations à Versailles au point de poser la question de la réputation de la ville. La ville était aussi fortement mobilisée en 2013 contre la loi Taubira. Et finalement, le choix de Versailles, en plein coeur de l'opposition aux théories du genre et des droits LGBT, est aussi un choix difficilement récupérable par les fascistes3 à une échelle globale. Entre le rapport Sauvé, l'interdiction des thérapies de conversions, et la sortie prochaine de la saison 3 de Quouïr sur les enfants queers qui ont du participer à la manif pour tous, je pense que les extrémistes catholiques ne vont pas vraiment avoir le vent en poupe pendant les prochaines années, ce qui donne encore plus de raisons d'en profiter.
D'ailleurs, il y a un collectif Versailles LGBTQI, ce qui prouve que les relais locaux sont présent.
Donc une marche des fiertés à Versailles en mai 2022 ? Pourquoi pas. En plus, ça tombe pendant les élections présidentielles en France, juste ce qu'il faut pour bien démarrer le débat.
Sous entendu les banlieues pauvres et racisées, car il ne faut pas prendre ça au sens géographique mais sociologique.
Qui s'est reconverti dans la lutte contre l'ouverture de la PMA.
Le principal angle pouvant être Paris contre Versailles, histoire que ça reparte comme en 1871.