Raya et le dernier enemies to lovers
Sur un coup de tête, j'ai décidé de regarder Raya et le dernier dragon, un film de Disney sorti en 2021. J'avais envie de voir le film parce qu'il avait l'air classe, mais aussi pour comprendre la polémique autour du lesbianisme effacé de l'histoire. Et non seulement après avoir vu le film, je n'ai pas vraiment été sensible sur le dit lesbianisme, mais je pense qu'en plus, ça serait une représentation problématique.
Pour rapidement résumer le film, Raya et le dernier dragon raconte l'histoire de la protagoniste titulaire qui cherche à retrouver le dernier dragon, puis à rassembler 5 morceaux d'une pierre magique pour combattre une maladie qui pétrifie une bonne part de la population do royaume. Au cours de son aventure, elle va rencontrer divers personnes qui se joignent à elle, et se retrouve à se battre contre Namaari, la princesse d'un autre clan (qui possède aussi un morceau de la pierre en question). À la fin, l'héroïne se sacrifie en donnant ses morceaux à Namaari qui rassemble la pierre et détruit la maladie. Je simplifie grandement, Wikipedia a un synopsis détaillé. Le film est esthétiquement plaisant, les scènes de combat sont dynamiques, et même si le scénario est assez simple et sans surprise, ça se laisse regarder.
Avant d'aborder la question de la représentation lesbienne dans le film, je pense qu'il faut d'abord se pencher sur ce qui indiquerais son existence.
Pour commencer, il y a les combats à l'épée, notamment via un stéréotype récent autour des lesbiennes équipées d'épées. Par exemple, en 2020, le JdR sur table Thirsty Sword Lesbians a gagné un prix, et il a fait un peu de bruit sur le web. Urban Dictionnary a une entrée pour "sword lesbian" depuis 2017, on retrouve des posts sur l'histoire de Julie d'Aubigny vers 2020, ainsi que la photo d'un mariage de 2 femmes avec une épée en 2019 qui a fait le tour des réseaux sociaux. C'est aussi à ce moment qu'un sous reddit /r/swordlesbians/ a été crée. Tout ceci aboutit à la création d'un imaginaire bien spécifique.
Mais si ce n'était qu'une sous culture spécifique à un moment T, ça n'aurait pas été très loin. Il faut ajouter à ça le design de Namaari, musclée (donc un coté butch) avec une coupe undercut, symbole de queerness depuis 25 ans. Si on rajoute que sa mère aussi a la même coupe, qu'elle élève sa fille sans avoir de mari (un point explicite dans la narration), on commence assez vite à voir le design converger vers une certaine identité.
Et Namaari est donc vu comme une icône lesbienne si j'en crois les 570+ fanfictions sur A3O. Quid maintenant de la question de la romance ?
Un des arguments poussés est que si Namaari ou Raya avait été un homme, alors on aurait automatiquement envisagé une romance entre les deux, car c'est le schéma classique de Disney. C'est un point que je trouve contestable car bien que ça soit vrai pour beaucoup de films Disney, c'est aussi quelque chose qui disparaît de plus en plus. Disney a beaucoup grandi depuis 30 ans, et le qualificatif de "film Disney" devient assez vague. Je vais donc m'en tenir à la liste des "classiques Disney", ce qui retire Pixar, les séries, les court métrages, etc. Wikipedia a une liste à disposition, et en effet, sur le début de la liste, les films les plus connus et les plus anciens ont une romance hétérosexuelle. Mais quand on regarde la fin de la liste, c'est beaucoup moins le cas, surtout dans les films que j'ai vu. Il y en a une dans Zootopie, j'ai entendu quelque chose dans la Reine des neiges et dans Raiponce. Si on ne garde que les 10 dernières années, ça semble beaucoup moins présent même si Disney n'a pas totalement renoncé à l'idée de romance dans ses histoires.
De plus, et c'est ce qui me dérange dans l'argument, c'est que la sexualisation systématique d'une relation entre 2 personnes de sexe opposés est un problème. Reprendre la pratique dans un but d'équité historique ne me parait pas terrible sur le long terme, surtout quand on le mets en parallèle avec le stéréotype de la lesbienne prédatrice, mythe qui remonte à longtemps1.
Un autre argument couramment avancé en faveur d'une lecture lesbienne de la relation est que Kelly Marie Tran, l'actrice qui a donné sa voix au personnage de Raya, a dit dans une interview qu'elle a décidé qu'il y avait un sous-texte romantique. Mais elle ajoute aussi que ce n'est pas ce que Disney lui a demandé. Et l'interview de Vanity continue en faisant un lien discret avec la légende de Korra, puis du bourrage sur le queercoding et les mêmes 4 séries que tout le monde cite depuis 2010. C'est tout juste la taille pour que l'article devienne viral, pour le plus grand bien de Vanity Fair et de Disney.
Si on examine les dialogues durant le film, je peux néanmoins concéder qu'il y a une scène ou la question se pose. Raya et son équipe se retrouvent assiégés dans un village, et les troupes de Namaari encerclent le lieu. Raya propose alors au groupe de partir en douce pendant qu'elle occupe son adversaire, en précisant qu'elle sait comment "push her button". C'est exactement le genre de dialogue qu'on pourrait imaginer avec deux ex-amoureuses ayant vécu longtemps, sauf que ce n'est pas le cas ici. Elle commence aussi le combat avec un "Salut, princesse Undercut", un forme de flirt assez difficile à nier. Mais je n'irais pas jusqu'à comparer les épées et les lances comme des pénis de substitution, ou à voir que Raya donne sa virginité à Namaari en donnant la pierre.
La question de l'intimité pourrait se poser si le scénario avait été légèrement différent. Mais Namaari et Raya se rencontrent au début du film quand elles sont très jeunes, passent une soirée ensemble avant qu'on découvre que Namaari a menti pour s'approcher de la pierre du Dragon. Et pendant 6 ans, elles ne se sont pas revues avant la séquence suivante. On est pas dans le cas d'Adora et Catra qui ont grandi ensemble, et pour qui on peut en effet imaginer une véritable alchimie hors champ.
La fin du film laisse aussi songeur, car au moment de rassembler la pierre, Raya et le reste du groupe se sacrifie en faisant confiance à Namaari. Mais Namaari est presque sur le point de se barrer quand elle décide de faire demi-tour et de rassembler les morceaux. Après un long moment ou on retient son souffle car Namaari se retrouve pétrifié aussi et la pierre sans lumière2, la magie s'active et tout le monde redevient normal. Et Raya et Namaari se regarde dans les yeux. Je pourrait voir comment ce moment pourrait dire quelque chose, mais il faut avoir plus que ça. Et j'ai cherché, j'ai écouté par exemple un podcast complet sur ça, et les arguments sont "elle marche de façon gay"3.
Et non seulement il faut le reste, mais j'ai l'impression qu'en fait, il y a plus de signes de relations entre Sisu (le dragon) et Raya. Pour commencer, Sisu présente sa famille (pétrifiée) à Raya, et Raya présente Sisu à son père. Raya aime son père, et dit qu'elle voir dans Sisu certains traits de caractères de ce dernier. Namaari tire de façon peu claire sur Sisu et entraîne sa mort, acte qui mets Raya en rogne au point d'aller vouloir la venger. Il me parait plus défendable d'affirmer qu'il y a une relation forte entre Raya et Sisu qu'entre Raya et Namaari, même si je peux voir une lecture où Namaari serait jalouse de la relation entre Raya et Sisu, et décide de tuer Sisu à dessein.
Mais surtout, ce qui me dérange avec tout ça, c'est pas que des gens4 voient des romances là où pas grand chose ne semble soutenir l'hypothèse. Je ne vois pas pourquoi j'interdirais une lecture d'un texte qui serait possible et qui apporte de la joie. Non, ce qui me dérange, c'est que ça serait une relation problématique et qu'on en parle pas. Pour commencer, Namaari est une menteuse dés le début du film. Elle trahit Raya une seconde fois lors de la rencontre à coté de chez elle, puis refuse d'accepter sa responsabilité dans la mort de Sisu, accusant Raya d'être autant responsable qu'elle. Elle est presque prête à abandonner tout le monde pendant la catastrophe finale, et elle passe son temps à se battre avec Raya. Et comme le souligne les intervenantes du podcast citées plus tôt, Namaari la stalke pendant tout le film, en faisant preuve d'une obsession malsaine.
Dans un contexte ou la violence entre lesbiennes a tendance à être occultée, je trouve que c'est un ship5 problématique. Bien sûr, il faut remettre ça dans son contexte. Il y a une demande légitime pour avoir des romances entre femmes, et ce manque est exarcerbé par la perception que les shows sont souvent annulés car ça ne rapporte pas assez.
Cette perception mérite un regard critique, car par exemple, The L word a eu 5 saisons, The L Word: Generation Q en a eu 3 et un reboot à New York est en cours d'après Wikipedia. L'annulation de The Owl House après 3 saisons a fait du bruit, mais une rapide recherche montre que les séries de Disney Animation ne dure pas forcément plus longtemps, vu qu'il y a beaucoup de séries avec 2 à 4 ans de durée de vie dans les années 2010.
Et il faut aussi voir que certaines des séries annulées comme First Kill avait un bon début, mais les chiffres n'étaient pas la6. Et on ne va pas non plus passer sous le tapis qu'il y a eu quelques séries animées qui ont pu se finir comme She-Ra et les princesses au pouvoir, Harley Quinn, ou plus récemment Mobile Suit Gundam: The Witch from Mercury.
Mais la perception est là tout comme le manque et la demande, et ce sont sans doute des facteurs importants dans le fait de passer outres les problémes de la relation. Et le seul moyen d'éviter ça est d'avoir plus de visibilité et plus d'oeuvres, afin de ne pas devoir se raccrocher à quelques miettes. Ou peut être d'aller voir ailleurs que dans le circuit commercial hollywoodien.
J'ai bien noté que l'autrice de l'article est une TERF anglaise pur jus, avec une dose de biphobie.
Le moment parfait pour couper le film pour traumatiser vos enfants en prétendant que c'est la fin normal.
Et je parle pas de "I choose to make them legal", qui est aussi un autre sujet que je vais juste esquiver.
Par acquis de conscience, j'ai demandé à une fan bie qui n'a visiblement rien vu malgré plusieurs visionnages par le passé.
Au sens utilisé pour les fanfictions.
Tout comme la cohérence du scénario tout au long de la saison 1.