De la négation des épidémies
Pour diverses raisons d'ordre personnel, j'ai été fait un tour au CeGIDD du voisinage pour des dépistages (qui sont revenus négatif sur tout), et j'ai profité de l'attente pour me plonger dans les questions d'IST et notamment leur histoire. Sans grande surprise, c'est surtout l'épidémie du SIDA qui a fait couler beaucoup d'encre, la syphilis ou la blennorragie ayant eu visiblement moins d'impact sociétal au 20ème siècle1. Et donc au fil des lectures, j'ai découvert les mouvements de déni de la crise du SIDA, et le parallèle avec la pandémie du SRAS-CoV-2 de 2019 est assez frappant.
Je suis tombé dans tout ça en essayant de comprendre comment sont traités les différents IST (et combien ça coûte en matériel). Le VIH est de nos jours testé de diverses façons, mais l'assurance maladie et donc le centre où j'ai été semble utiliser un test ELISA de 4ème génération. Le processus exact est plus compliqué, car on utilise d'autres tests pour vérifier les échantillons si le premier test est positif, et on termine par un test PCR pour mesurer la charge virale à la fin et lors du suivi. Muni de tout ça, j'ai commencé par chercher l'équipement, mais à part trouver qu'une machine à PCR neuve coûte dans les 5000 US$ sans les consommables, je n'ai pas eu beaucoup de résultats probants, et aucun tutoriel sur Youtube ou WikiHow sur comment monter son propre laboratoire clandestin. Par contre, en fouillant bien dans les bas fonds des moteurs de recherche, j'ai réussi à tomber sur une page qui a commencé à expliquer que les tests PCR ne devraient pas être utilisés pour prouver une infection par le VIH, et nier donc l'existence de l'épidémie de SIDA purement et simplement1. Ma fascination pour les conspirations m'a poussé à investiguer plus, tout en notant la ressemblance avec les théories complotistes autour du COVID-19.
Et on retrouve en effet exactement la même chose. En France, on a eu la négation de l'importance de la pandémie par le professeur Didier Raoult, microbiologiste à Marseille. Pour l'épidémie du SIDA, c'est Peter Duesberg biologiste moléculaire à Berkeley qui s'y colle. En dehors du climat ensoleillé commun à la Californie et à la région PACA, on peut aussi noter qu'il s'agit dans les 2 cas d'hommes ayant eu leurs heures de gloire et le même âge au moment des faits. On retrouve aussi des forums ou les gens vont dénoncer le système sanitaire et divaguer sur les mêmes hypothèses (arme biologique sorti d'un laboratoire, corruption de l'industrie et de la science, etc). On peut également noter un culte de la personnalité autour des deux hommes, et la présence de fans visant à défendre chacun d'entre eux. Et dans les 2 cas, les démontages des hypothèse fausses n'ont pas suffi.
On retrouve aussi des vendeurs de vitamines en tout genre (Matthias Rath pour le VIH, des tas de gens pour le SRAS-CoV-2), des gens qui vont dire que le remède fait plus de mal que la maladie qui soit n'existe pas, soit est anodine. Et cerise sur le gâteau, la comparaison avec la Shoah est présente dans les 2 cas.
L'épidémie de SIDA a commencé au début des années 1980, peu de temps avant la naissance du web à la fin des années 1980 et à l'usage des réseaux par le grand public vers la fin des années 1990. Mais comme l'épidémie existe encore, la négation continue à ce jour ce qui a poussé deux scientifiques à écrire sur le sujet en 2007. Leur conclusion anticipe parfaitement les bases des dynamiques complotistes de 2019.
Par exemple, l'article parle de l'équilibre à avoir dans la communication entre l'alarmisme pour faire réagir la population et la précision du danger car tout le monde ne va pas en mourir. Dans le cas du SIDA, c'est sous la forme de groupes de dissidents HIV positif qui finalement survivent plus longtemps que la moyenne que la négation se construit. Pour le COVID, les complotistes pointent un taux de mortalité de 2% suite à une infection afin de dire que ce n'est pas grave.
L'article parle aussi de l'influence des VIH-sceptiques sur Thabo Mbeki et la politique de santé publique en Afrique du Sud au début du 21éme siècle, un point qu'on retrouve aussi via divers leaders politiques ayant eu une réponse assez calamiteuse de la pandémie actuelle, comme par exemple le gouverneur de Floride.
Néanmoins, il y a beaucoup de différences. Pour commencer, le SRAS-CoV-2 se propage plus vite que le VIH. Et je ne veux pas dire par la qu'une personne peut infecter 10 personnes en 1 soirée au restaurant dans les bonnes conditions, parce que dans les bonnes conditions, je suis sûr que je peux refiler une IST à 10 personnes (et sans restaurant). Je parle plus du fait que le SRAS-CoV-2 se reproduit beaucoup plus vite et les porteurs sont contagieux plus vite. Le VIH va mettre 10 ans à surcharger le système immunitaire et donc entraîner la mort de la personne porteuse, et on ne peut le détecter qu'après quelques mois. Pour le SRAS-CoV-2, on parle d'un délai d'une semaine avant d'être contagieux et d'avoir des symptômes, et donc de pouvoir détecter la charge virale. C'est aussi un point qui se reflète dans les estimations du nombre de mort. Pour le SIDA, on estime la mortalité à 75.7 millions sur les ~40 ans de l'épidémie en 2019. Le bilan de la pandémie du COVID-19 est estimé pour le moment à 15 millions de mort en avril 2022. C'est 5 fois moins que le VIH, mais c'est aussi en 20 fois moins de temps. À temps égal, il y a 4 fois plus de mortalité pour le SRAS-CoV-2, ce qui explique aussi la rapidité de l'apparition des théories de négations. Plus il y a de personnes infectées (et qui survivent), plus grande est la communauté de personnes qui vont réagir aux mesures sanitaires, ce qui entraîne donc une politisation différente entre les deux épidémies.
Les tailles respectives des groupes d'opposition expliquent aussi la présence d'un forum Reddit dont le but est de lister les morts des gens qui nient l'existence de la pandémie actuelle, alors qu'il y a tout juste une page lentement alimenté avec les morts du SIDA qui ont niés son existence.
Et bien que le VIH touche toutes les couches de la population, il a longtemps été limité à des groupes marginalisés (utilisateurs de drogues, HSH, population sub saharienne ou d'Haiti, etc), là où la pandémie actuelle a vite touché tout le monde sans distinction, même si il y a eu son lot de discrimination envers les populations asiatiques au début.
Mais malgré ces grosses différences, la ressemblance est assez troublante. Comme semble l'avoir dit Mark Twain, l'histoire ne se répète pas, mais elle rime souvent. Les dynamiques autour de la négation du VIH ont fini par s'éteindre d'elles mêmes en partie suite à des luttes internes (groupe de Perth vs Alive & Well AIDS Alternatives si j'en croit les forums), mais aussi parce que les forces vives ont fini par être rattrapées par le SIDA, l'exemple le plus parlant étant le magazine Continuum qui a perdu ses rédacteurs en chef successifs avant de fermer.
L'ironie de la dernière histoire ne m'a pas échappé même si ça reste profondément triste.
Je précise le siècle, car visiblement, certaines idées de l'époque victorienne a été fortement influencé par les IST.
Pour éviter de donner plus de visibilité, je ne mets pas le lien, mais chercher " LA CHARGE VIRALE ET LA METHODE PCR Pourquoi elles ne peuvent être utilisées pour prouver l'infection par le VIH " est un moyen de le trouver