La bisexualité, simplification ou complication ?
Lors d'une discussion au travail sur un festival LGBTQI+ aux États unis, la question de la représentation est arrivé sur le tapis. Le festival a commencé il y a 10 ou 20 ans comme étant focalisé sur les problématiques gays et lesbiennes, mais a évolué pour inclure plus par la suite. Par exemple, il y a une sélection de réalisat-eur-rice-s masculins, féminines et ... trans. C'est un point qui a fait tiquer quelques personnes à juste titre dans la discussion, et qui a aussi débouché sur la question de la représentation bisexuelle dans ce genre de festival.
Et c'est en effet une bonne question, dans la mesure ou la multiplication des identités fait qu'on se retrouve parfois avec plusieurs façons de désigner les mêmes choses (bi vs pan vs polysexuel vs omnisexuel) avec des variations (biromantique vs bisexuelle), et qu'il faut faire évoluer le vocabulaire. Et ça, c'est sans se lancer dans les différentes nuances liées au genre.
Ne serais que pour la question sans doute mineur de savoir quel acronyme prendre pour désigner la communauté, il y a une forme de complexité. Par exemple, les personnes intersexes sont assez invisibles, et se retrouve à demander une place par l'ajout d'un I. De même, j'imagine qu'à un moment, il faut choisir si le A veut dire Allié, Asexuel, ou Aromantique. Est ce qu'il faut utiliser un P pour Polysexuel ou Polyamoureux. Et on parle pas trop des personnes NB.
Je me suis longuement posé la question de la complexité, en partie pour des questions pratiques, et en partie par déformation professionnel. De tout ce que j'ai lu depuis des années, personne ne semble prendre la mesure du souci.
Je parle de déformation professionnelle car mon expérience de gestion de la complexité qui me fait penser aux coûts en ressources sur le long terme. Quand je dit ressources, c'est à prendre au sens large dans un contexte donnée, et ça recouvre aussi bien les moyens humains en bénévoles, la charge cognitive pour ne pas faire de connerie avec un vocabulaire mouvant ainsi que le coût de la gestion du changement. Par exemple, dans le domaine informatique, une architecture avec des exceptions partout requiert plus de documentation, plus de test, plus de lignes de code et sans doute plus de bugs.
Pour moi, la simplicité est une vertu, et les mêmes considérations s'appliquent pour les théories politiques et la communication. Pour prendre un exemple caricaturale, Marx n'a pas parlé de l'exploitation de chaque industrie une par une, mais du prolétariat comme un grand groupe sans trop aller dans les détails.
Et dans le cas de la communauté LGBT+, les implications pratiques arrivent assez vite. Si un groupe veut organiser un festival de cinéma, il faut choisir quel sous-groupe doit avoir une place spécifique en gardant en tête que ces choix ont un coût humain (aller chercher des films, organiser le programme), et que l'espace reste limité car il n'y a pas ni un budget illimité, ni des salles de cinés gratuites. Si un groupe est mis à l'honneur, alors les autres ne le sont pas. On ne peux pas mettre quelque chose en avant sans avoir de facto quelque chose en arrière.
C'est assez souvent des conversations qui entraîne une grande dose d'inconfort, car personne ne veut exclure d'autres groupes, surtout des groupes déjà marginalisés par tout le reste de la société.
En général, la réponse est de chercher à avoir plus de ressources ou de changer le partage. Parfois ça marche, la Marche des Fiertés a de la place aussi longtemps que les gens défilent et chaque groupe est auto suffisant. Il reste des points de contentions (slogan, ordre de marche), mais c'est bien moindre que si le défilé avait une taille limité.
Je pensait à ça sous la douche et je me demandait au final à quel point les discours devraient être moins sur l'identité et plus sur les revendications. Un cas d'exemple pourrait être les problématiques aro/ace (notamment sur le recouvrement avec l'injonction à la sexualité qui est aussi une problématique féministe), mais comme c'est pas un groupe dont je fait parti, je ne vais pas m'étaler dessus.
La PMA pour tout le monde est un autre exemple de combat transversale qui concerne aussi bien les hommes trans, les lesbiennes en couple, les femmes célibataires et les femmes bies en relation avec une autre femme, et sans doute d'autres personnes. Se focaliser sur les identités de qui est concerné est l'assurance d'oublier des gens (par exemple, dans l'exemple précédent, les personnes non binaires), là où la focalisation sur la revendication (à savoir l'égalité à l'aide médicale pour la procréation) évite le problème.
De la même manière, certains jeux avec des romances (Stardew Valley pour ne citer que lui) ne vont pas limiter les options entre les PNJs et la personne qui joue. Dans l'univers du jeu, tout les PNJ courtisables sont bisexuels pour l'inclusivité, et sans doute parce que ça simplifie à la fois l'histoire et le moteur de jeu.
Une société où la bisexualité est la norme serait sans doute plus simple si on mesure la complexité par le nombre d'identités ayant besoin de représentation. En fait, c'est bien simple, tout comme il n'y a pas de festival de cinéma hétéro, une telle société n'aurait sans doute pas de festival LGBT si on présuppose qu'une telle société n'oppresse pas les gens sur leur choix de relations.
Ça parait assez difficile à imaginer pourtant vu que les oppressions ont tendance à subsister, et je n'ai pas réussi à trouver d'oppression historique qui n'a pas survécu de nos jours. Par exemple, il y a toujours des gens qui vont voir les couples dit "mixtes" (ce qui dans ce contexte veut dire entre des personnes noires et des personnes blanches) comme incorrect. Il y a toujours des problématiques sur les classes sociales, ou des obstacles lié à la nationalité des gens.
Au delà du fait de ne pas avoir réussi à supprimer d'oppressions, il y a aussi la question de comment arriver à un point où elles n'existent plus. Au fond, ce que tout le monde semble vouloir, c'est d'être aussi invisible que l'hétérosexualité l'est dans la société actuelle. Mais pour en arriver la, il faut être d'abord être le plus visible possible.
Et pourtant, un monde imaginaire ou la bisexualité serait le défaut va invisibiliser cette orientation comme j'ai pu le lire sur divers articles comme celui ci. Dire que tout le monde est un peu bisexuel est une remarque et un raisonnement problématique, au moins dans le contexte actuel.
C'est problématique parce que ça efface les autres identités. Une lesbienne n'a sans doute pas envie de s'entendre dire "non, mais le lesbianisme n'existe pas, tu as sans doute aussi envie de coucher avec un gars". Il y a tout un tas de raisons politiques à ne pas vouloir avoir de relations avec des hommes dans une société patriarcale comme celle où on se trouve.
C'est problématique aussi parce c'est faux, tout le monde n'est pas un peu bisexuel. Je suis pour le moment assez convaincu que beaucoup plus de monde pourrait l'être sans l'influence de la société, mais la société est la donc les gens restent majoritairement monosexuel. Et dire ça cache l'hétérosexualité comme identité tellement dominante qu'elle n'a jamais eu besoin de définition avant.
Donc finalement, un monde où la question du genre de qui sort avec qui seraient sans doute plus simple du point de vue des oppressions à combattre. Et pourtant, y arriver implique au contraire plus de visibilité dans la diversité, et donc plus de complexité, vu qu'on veut mettre en avant tout les variations.
En d'autre termes, pour avoir de la simplicité, il faut de la complexité.