Zelda TOTK et les droits humains

Suite à diverses discussions sur le web en ce moment (notamment autour du dernier réseau social à la mode lancé par Meta), j'ai commencé à m'interroger sur la méconnaissance des traités internationaux sur les droits humains et leur compréhension par le grand public, et notamment la question de leur respect dans les jeux vidéos. Et comme je n'ai toujours pas fini Zelda TOTK, je me suis dit que je vais faire d'une pierre deux coups en regardant la diégèse du jeu et son respect des textes pour écrire l'article pendant que je joue.

Avant de me pencher sur le sujet, il faut que je précise un peu plus exactement ce que je veux dire par "traités sur les droits humains". En effet, il existe plusieurs conventions et traités, et ils ne sont pas tous équivalents. Par exemple, la convention américaine relative aux droits de l'homme, également appelée le pacte de San José, est un texte qui diffère de son pendant européen, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CSDHLF), sur un certain nombre de points à commencer par la question de l'avortement. C'est la raison principale avancée pour sa non signature par le Canada. De même, une des critiques faite sur la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ACHPR) est que le droit à la vie privée n'est pas explicitement écrit, et personnellement, je suis un peu nerveux vis à vis de l'article 18 qui dit que la famille est la base de la société, car c'est une excuse assez souvent utilisée pour passer des lois discriminantes envers les couples de même sexe¹.

Et je ne veux pas faire d'exceptionnalisme européen, la CSDHLF est un piètre instrument pour lutter contre le racisme, et mets un temps extrêmement long à reconnaître les couples de même sexe au vue de sa propre jurisprudence. À contrario, l'ACHPR incorpore l'anticolonialisme dans ses principes via son article 20.

Comme il faut être précis, je vais utiliser la CSDHLF comme base, car c'est celle qui s'applique à mon lieu de résidence, et celle que je connais le mieux. Et j'ai fait le choix d'écarter les textes de l'ONU car ils n'ont pas de valeur juridique, bien qu'ils servent d'inspiration aux différentes conventions que j'ai cité. En d'autres termes, on va supposer que le royaume d'Hyrule a signé la CSDHLF au même titre que la France. Je suis obligé de préciser le pays, car tout le monde n'a pas ratifié la Convention (et notamment ses changements arrivés ultérieurement) de la même façon.

Ne voulant pas refaire le jeu de zéro, j'ai tenté de me souvenir des différents événements qui arrivent dans le cadre du jeu. J'ai choisi d'exclure les différentes tortures de Korok comme le fait de les mettre à coté d'une flamme, car c'est un choix explicite des joueurs, pas une demande du jeu. Dans la mesure ou Link agit comme agent du gouvernement (d'abord en tant que garde du corps de Zelda, puis sous les ordres de Purah, responsable de camp de Fort de Guet, et donneuse d'ordre principale), on peut directement impliquer le gouvernement d'Hyrule quand il ne respecte pas les traités, mais ça n'est pas mon sujet.

Après quelques temps, j'ai rassemblé plusieurs exemples à proposer.

Le premier est la quête concernant les élections à Elemith. Quand Link arrive au village, il découvre assez vite qu'il y a eu quelque changements. La ville est couverte de faux champignons, quelqu'un habite dans sa maison (et dort dans son lit), une école a été construite, et surtout, une élection est en cours pour choisir le ou la chef du village. Via une quête, le jeu nous pousse à nous mêler de la dispute entre les 2 candidats. Et c'est l'occasion de constater plusieurs violations. La première, assez évidente, c'est que l'état n'est pas censé se mêler des élections locales. C'est contre l'article 3 du protocole 1, car le vote doit être libre et secret. Mais Link doit distribuer des champignons (ce qui serait de la propagande électorale), puis espionner les candidats (en suivant Goutiée pendant la nuit, et en entrant dans une pièce fermé à clé chez Baldinn par des moyens magiques), et tout ça dans le but de faire changer le scrutin en influençant le débat entre les candidats. Et pour un agent de l'état, rentrer chez un civil sans mandat, ou le suivre la nuit sans raison, ce sont des violations de l'article 8, celui qui codifie le droit à la vie privée.

Un second point du jeu qui me parait douteux, c'est l'âge des sages. Autant je pense que dans TOTK, l'âge de Riju est discutable (certaines estimations parlent de 15 à 17 ans sur la base d'une estimation dans BOTW et de l'estimation entre les 2 jeux), autant l'âge de Tulin me semble indubitablement un souci, car il a une taille qui est plus proche des enfants que des adultes. Son arc dans TOTK tourne autour fait qu'il devient plus mur, et il finit par être vu comme un vrai guerrier (ce qu'il n'était donc pas avant). Et son âge est un souci car il prends part au combat contre l'armée du roi démon dans la séquence finale de boss rush contre Ganon. Il existe divers textes internationaux interdisant les enfants soldats tel que Tulin ou Riju comme expliqué dans la littérature, et la Cour européenne des droits de l'homme a publié un livret expliquant dans sa version courante que la protection contre la violence tombe sous le couvert de l'article 2, du 3 et du 8, ainsi que l'article 2 du protocole 1.

En parlant des Gerudos, et sans rentrer sur la question d'avoir une dirigeante qui n'est pas majeur (au moins dans BOTW et sans doute aussi dans TOTK) et qui participe à un siège dans TOTK, il y a la question épineuse de la non-mixité de la cité, un cas de violation assez direct de l'article 14 sur la non discrimination. Le sexe est un critère explicitement écrit, contrairement à l'orientation sexuelle qui a été construit par la jurisprudence. On pourrait me dire que l'article 14 ne dit pas qu'on ne doit pas être discriminé, mais que les autres articles doivent s'appliquer de façon égal. Et il se trouve que dans TOTK, un homme du nom de Kamis est emprisonné pour avoir voulu voir sa fille. Et sauf erreur de ma part, c'est une violation de l'article 8, le droit au respect de sa vie de famille (et de sa vie privée). De plus, je pense qu'on peut aussi rajouter une violation de l'article 6, car on ne parle jamais de procès. Si Link est dans la cité torse nu, il est aussitôt mis en prison, puis on le laisse partir sur ordre de la capitaine une fois qu'il a enfilé quelque chose. Il est donc raisonnable de croire que c'est ce qui est arrivé pour Kamis. Il faut aussi noter que la famille de Kamis n'est pas au courant car sa femme Radima se demande si il va bien sans savoir qu'il est en prison, et même si il voit sa fille, elle ne sait pas qu'il est la. Et je suppose qu'on peut aussi ajouter une violation de l'article 5, si on considère l'emprisonnement comme excessif par rapport au crime, notamment par opposition à BOTW où les Gerudos expulsent simplement les voïs hors des murs (en supposant qu'ils ne vont pas mourir de chaud).

On pourrait objecter que la souveraineté du royaume Gerudo implique son indépendance vis à vis d'Hyrule, et donc qu'un traité signé par Hyrule ne s'applique pas sur la cité Gerudo. Comme il est établi dans les extraits vidéos de l'histoire que Ganondorf est devenu un vassal du premier roi d'Hyrule, et en l'absence d'indication contraire, c'est sans doute encore le cas. Donc il me parait défendable de supposer que la convention s'applique de jure².

Toujours dans le giron du royaume des Gerudos, la question des Yigas est un point à aborder si on veut être exhaustif. Je ne sais pas exactement comment on peut qualifier les Yigas, mais il me parait défendable qu'on puisse les qualifier de groupe religieux. Il y a un certain nombre de signes pointant vers des comportements sectaires. Par exemple, si on considère Ganon comme un être quasiment divin, maléfique et mythique, alors l'appeler le "Magnificant One" et oeuvrer pour son retour frôle le comportement d'une secte sataniste. Le fait d'avoir été exilé par le royaume d'Hyrule comme expliqué dans l'histoire de BOTW a des échos avec certains groupes existants comme par exemple le récit de l'exode d'Égypte par les Hébreux. Leur organisation en autarcie rappelle également certaines sectes, et le fait que le symbole soit celui des Sheikah à l'envers fait également écho aux croix inversées/retournées repris comme symbole des sectes satanistes.

Si on regarde les Yigas comme une secte de fanatiques et pas juste comme un clan ou un gang, alors la question de l'exercice de leur religion se pose en théorie. En pratique, vu que les Yigas passent leur temps à voler, espionner et tenter de tuer Link, la question reste purement théorique, car ce sont des criminels. Mais l'angle religieux tomberais dans les questions autour de l'article 9 si l'histoire avait pris un autre tournant. Au hasard, si quelqu'un venait à revenir dans le temps pour changer le cours de l'histoire de BOTW, et que des persécutions religieuses persistaient par la suite.

Et finalement, le dernier point où je pense que l'histoire de TOTK est problématique par rapport aux droits humains, c'est l'histoire de Sidon.

Je pourrait parler en long, en large et en travers³ des aspects gays de TOTK, mais on va juste regarder la question du mariage du prince en question. Lors de la phase finale de la quête autour du domaine Zora, le roi dit explicitement à son fils de prendre la main de Yona (comprendre, de se marier) pour devenir le dirigeant du royaume. Et en se baladant dans le domaine, on découvre que les tablettes avec l'histoire des Zoras de BOTW ont été remplacées et le texte réécrit par Sidon. Bien que l'UNESCO ne soit sans doute pas d'accord avec l'opération, c'est surtout la stèle qui contient le chapitre 4 de l'histoire⁴ qui nous importe pour le moment. Sidon y raconte son admiration pour Yona comme une grande soeur, puis sa confusion quand son père lui annonce que sa main lui est promise. Et donc, on peut légitimement se poser la question du mariage forcé. Même si Sidon semble heureux avec Yona (bien qu'à mon sens tiraillé avec sa relation avec Link, et sa tristesse vis à vis de sa soeur), ça reste une violation de la Convention. L'ONU a une publication sur le sujet, tout comme la FRA qui a publié un document en 2014, expliquant que c'est inter alia une violation de l'article 12.

Et si on part du principe que Sidon est gay/bi et que son orientation est plus ou moins refréné par sa famille⁵, on peut rajouter une autre violation de l'article 8.

Donc si je fait le compte, on a l'article 2, le 3, le 5, le 6, le 8, le 9 (avec un peu de mauvaise foi), le 12 et le 14, ainsi que divers articles du protocole 1. Ça fait beaucoup, car finalement, il ne reste que les articles contre l'esclavage et pour la liberté d'expression qui n'ont pas été potentiellement mis à mal. Un esprit pinailleur pourrait indiquer que vu l'état du royaume, on pourrait invoquer l'article 15, mais que je sache, il n'existe aucun moyen pour le royaume d'Hyrule de contacter le secrétaire général du conseil de l'Europe comme requis par le paragraphe 3, donc évoquer une urgence sans notification serait une violation de cet article. De plus, même si on peut admettre que la situation avec Ganon est une guerre, aucune des violations listées ne semble être requises par la guerre en question, et arrivent en majorité avant le retour du roi démon.

Et tout comme la convention de Genève est régulièrement non respecté par les jeux vidéos, les traités autour des droits humains sont assez facilement passés à la trappe même par un jeu comme TOTK, ce qui laisse un peu songeur sur leur compréhension par la population. Mais je rappelle que le Japon n'a aucune institution en charge des droits humains en 2023, donc ceci explique cela, même si je n'ai aucun doute que ça soit pas un facteur si important que ça au vue du reste du monde, et de la France en ce moment.