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Tears of the kingdom, streaming et l'industrie du jeu vidéo

Le 12 mai 2023 a eu lieu une journée d'étude sur la préservation du jeu vidéo à la BNF, un pari audacieux alors que c'était également le jour de la sortie du dernier opus de Nintendo, Tears of the Kingdom (TOTK dans le reste de l'article). Et les 2 événements ont curieusement un rapport, que je vais tenter d'expliquer entre 2 sessions de jeu.

Alors je ne vais pas parler beaucoup de TOTK dans cet article, bien que je pense qu'il y a des choses à dire, entre l'influence des mystérieuses cités d'or1, la réaction du fandom vis à vis d'un certain point de l'histoire entre une certaine personne de lignée royale et le héros ou simplement les thèmes du jeu comparés à ceux de Breath of the Wild. Pour ça, je vais attendre d'avoir fini le jeu histoire d'avoir des choses à dire.

Par contre, je vais parler du colloque que j'ai pu voir à distance, et notamment certains points qui m'ont marqué, et le lien avec TOTK. Un oeil novice pourrait se dire que la préservation des jeux vidéos, c'est un peu comme les livres, il suffit de garder le support. Mais c'est justement la que le bât blesse, car le jeu vidéo, c'est plus qu'un support. Par exemple, on peut se poser la question du contexte, à savoir le site web de l'éditeur, la presse spécialisée. La gestion des patchs se pose, ainsi que le stockage des jeux dématérialisés. Et quid des MMORPGs, qui n'ont pas vraiment de version et qui évolue sans arrêt ? Et une des questions qui se pose est celle du streaming via Youtube ou Twitch.

Pour redonner le contexte, la BNF via le dépôt légal datant de Francois 1er (largement avant la fondation des USA, pour donner un ordre de grandeur) a pour mission de conserver le patrimoine. Et depuis 1992, ça inclue aussi les jeux vidéos. Mais la BNF, bien qu'ayant des droits outrepassant le copyright, a des ressources limitées. Il est donc impossible par exemple d'héberger un serveur de WoW ou l'intégralité du web. Et la question du streaming est revenue plusieurs fois, notamment dans une table ronde de fin de journée.

Durant cette intervention, 2 chercheuses, Anna Rivière et Pauline Brouard, ont exposé deux points assez importants. Primo, Pauline Brouard a noté que les problématiques autour du streaming sont les mêmes que celle autour de la préservation d'une pièce de théâtre. Chaque représentation est unique, et chaque troupe va jouer à sa façon. Il est impossible d'être exhaustif, et on se heurte de plus à des questions pratique comme le choix des caméras et son importance sur le regard. Comme je l'ai dit par le passé, chaque représentation est un texte (au sens de l'analyse littéraire) sensiblement différent par rapport aux directives de l'auteur.

C'est aussi un point qui a été soulevé par Mathieu Tricot plus tôt dans la journée. Dans l'introduction de son intervention, il a parlé de la relation entre les jeux et la danse ou la musique, en essayant de situer le geste (à savoir l'appui des touches) et la vidéo par rapport aux arts vivants. Et c'est un cadre théorique intéressant qui place le jeu vidéo comme un spectacle, ramenant le domaine aux jeux étrusques dont on tire des mots comme ludique ou ludothèque. Les combats de gladiateurs ne sont que des parties IRL de Smash Bros, et ce n'est pas un hasard si le jeu propose dans son dernier opus plusieurs stages sous formes d'arènes ou de stade ( le stade Pokemon, l'arène de Ferox, l'arène de Fire Emblem, le ring de boxe de Punch Out, le stade de ARMS, le stade de King of Fighter, le dojo Mishima, et les tours Girelles). Si on rajoute les courses de char à la thématique, on peut rajouter les 2 niveaux de F-Zero et celui de Mario Kart.

Je parle des jeux du cirque, car c'était avant tout une forme de distraction avec un public, et via le développement du streaming de jeu vidéo, c'est aussi ce qu'on constate. En effet, et c'est le second point que j'ai noté dans la table ronde, les éditeurs se penche sur les usages autour du streaming, comme l'a dit Anna Rivière, doctorante en thése et travaillant chez Ubisoft. La création des franchises d'e-sports avec des tournois et de l'argent est un modèle que l'industrie a décidé de suivre il y a quelques années, et on pourrait s'attendre à en voir plus dans les productions de Nintendo.

Mais l'éditeur de Kyoto semble notoirement contre l'idée, si j'en crois les différentes affaires autour de Super Smash Bros Ultimate (la presse spécialisée en 2022 résume bien le souci, suivi par la fermeture d'un tournoi plus tard dans l'année). Plutot que d'engager une franchise importante comme Smash, Nintendo a tenté de faire de l'e-sport via divers franchises comme ARMS, Splatoon ou Mario Striker, mais sans pour autant aller vers une professionalisation. D'ailleurs, il est intéressant de voir que Nintendo a choisi de créer des nouveaux personnages pour Splatoon au lieu de prendre Mario, et de ne pas reprendre un univers existant pour ARMS. Il me semble donc assez clair que l'équipe dirigeante d'il y a 10 ans n'était pas vraiment chaude pour tenter ça avec des personnages de valeurs.

Toutefois, si le streaming est important, et que Nintendo ne s'engage pas trop sur l'e-sport, cela ne veut pas dire que l'entreprise ne tente pas autre chose.

Quand je regarde les vidéos Youtube de jeux vidéos populaires, je note que ce que ce qui marche bien, c'est Minecraft, Fornite ou Among Us. Among Us est le cas le plus simple à relier aux discussions la question de la préservation, car c'est presque comme une pièce de théâtre improvisé. Il y a un meurtre (en fait, plusieurs), et chaque partie va impliquer un jeu d'acteur et des interactions entre les joueurs. Minecraft est principalement dans la catégorie jeux de bac à sable (avec un mode "survival" sauf erreur de ma part), là où Fornite rentre dans la catégorie "battle royale", "tower defense", ou "sandbox", suivant le mode de jeu. De ce que j'ai pu voir en regardant des directs, ça reste avant tout un jeu de sandbox auquel on a rajouté soit des éléments de FPS, soit du Tower Defense, vu que les joueurs sautent partout et construisent des abris un peu n'importe comment.

Si on se penche sur des chiffres moins pifométriques, comme par exemple le top du streaming en 2021 sur Twitch, on peut ajouter à la liste GTA Online, qui marche bien grâce au role play des groupes qui streament d'après l'article, et League of Legend, l'exemple typique du jeu de e-sport.

Donc on peut voir que ce qui marche, c'est soit l'e-sport (que Nintendo veut éviter), soit les variations d'un jeu théâtrale au sens très large, soit les jeux en bac à sable.

Les jeux avec un minimum de rôle à jouer impliquent d'avoir une connectivité assez libre en ligne, chose que Nintendo semble embrasser à reculons. Les fonctions des différents jeux de l'éditeur ont tendance à permettre 0 interaction entre les joueurs comme l'usage d'un chat vocal, sans doute pour des raisons de coût de la modération et d'image de marque. Ce n'est donc pas vraiment une solution pour eux.

Donc il reste les jeux bac à sable, ou du moins, les jeux ayant une rejouabilité assez haute via une forme de créativité contrôlée. Et quand on regarde les sorties sur Switch, on peut voir que c'est un élément qui est présent dans pas mal de titres récents. Par exemple, Fire Emblem 3 Houses propose 4 routes différentes2, et permet une grande personnalisation des personnages, ce qui permet des batailles différentes et augmente son attrait pour un stream. Animal Crossing New Horizon pousse la personnalisation de son île à l'extrême, et même si Nintendo n'a pas investi dans l'e-sport autant que d'autres, ils ont des jeux de sports (Mario Tennis Aces, Mario Golf, Mario Striker) et 2 versions de Mario Party au catalogue.

Je pointerais aussi qu'une autre piste peu explorée est la possibilité de faire ses propres jeux, comme on le voit avec Game Builder Garage, Super Mario Maker 1 et 2, mais aussi l'éditeur de donjons dans le remake de Zelda Link's Awakening3. Les éditeurs de niveaux ne sont rien de nouveau, je me souviens de celui de Solomon's Key 2 sur NES, et certains jeux comme Starcraft ou Unreal Tournament sur PC avait leur propre éditeur à part il y a 25 ans. Nintendo a déjà tenté de proposer ça en 2009 avec WarioWare D.I.Y., mais aussi via un jeu non sorti prévu sur Nintendo 64, Mario Artist: Game Maker.

Donc il est intéressant de voir que même si Nintendo a tenté des choses avant d'avoir des consoles connectées en 20064, il a fallu attendre plus de 10 ans avant que l'idée soit explorée et développée, peut être via la question du streaming.

Et donc tout ceci m'amène à Zelda BOTW et TOTK. Dans un entretien publié sur le site de Nintendo, Eiji Aonuma, le producteur de la série, explique que l'idée de donner des libertés a été inspiré par les vidéos des fans. Bien que ça ne soit pas explicite, on peut comprendre à demi mot qu'une partie des vidéos en question sont celles où des gens ont envoyé des guardiens en l'air, fait des vaisseaux volants avec des ballons, etc. La production de vidéo a directement permis d'imaginer divers façons de rendre le jeu plus intéressant.

Et donc, mon postulat est que Zelda TOTK est prévu pour qu'on puisse largement streamer et faire du buzz avec. La Switch est équipé pour ça via la capture vidéo des 60 dernières secondes en appuyant sur un bouton. La console incite à prendre des photos via la tablette (et propose plusieurs quêtes autour de ça), une suggestion et un conditionnement qu'on retrouve également dans Animal Crossing New Horizon via une des application du NookPhone, ainsi que des minijeux (par exemple, le mois des mariages avec Risette et Serge). Et la communauté semble tellement aimé l'idée de faire ses propres appareils qu'un sous reddit dédié spécifiquement pour ça existe depuis la sortie du jeu.

Je ne sais pas comment le prochain Zelda va être, mais je ne pense pas me tromper en me disant qu'il y a des chances que la suite pousse encore plus vers les mêmes principes d'avoir un bac à sable, et de pouvoir créer son propre gameplay. D'ailleurs, on voit aussi à travers certaines quêtes (la ville Gerudo, le combat dans le 5ème temple, la création d'une maison, les différents passages d'attaques en groupe, voir le combat final) que Nintendo a justement aussi tenté d'apporter de la diversité à ce niveau (et pas uniquement via des mini jeux comme dans les opus précédents).

Comme le souligne Tom Bissel dans un édito pour le Washington Post, TOTK permet de l'amusement non structuré pour les enfants, quelque chose qui est manquant dans beaucoup d'autres titres. Le jeu est un succès commercial, et la prochaine mouture va sortir sur une console avec plus de puissance. BOTW était prévu pour Wii-U, une console avec moitié moins de ram que la Switch, et on peut voir ce qui a changé avec TOTK qui vise la Switch depuis le début. Par exemple, j'imagine que c'est ce qui permet de garder en mémoire des objets plus complexes comme les esprits des sages, les différentes véhicules ou de permettre l'usage de Recall. Le mécanisme de la lune de sang présent dans BOTW et TOTK ne sert de ramasse miette que dans des cas spécifiques pour récupérer de la mémoire, ce qui montre que l'éditeur a du travailler avec des contraintes fortes et que la mémoire est une limite importante. Je ne peux pas estimer la taille en mémoire de chaque objet, mais j'imagine qu'avoir plus de ressources à ce niveau permet plus d'interactions, ou des interactions plus complexes. Minecraft par exemple a régulièrement des soucis sur Switch, un peu de RAM aiderait sans doute à ce niveau. Donc le prochain Zelda va sans doute permettre encore plus d'interactions, plus de personnages en même temps, voir un environnement qu'on peut modifier ou détruire encore plus.

Et pour conclure tout ça, j'aimerais parler d'une idée qui m'est venue à l'esprit. Nintendo a cassé les conventions de Zelda avec BOTW, car j'imagine que le constat fait par les fans sur la série avant BOTW était aussi partagé par les équipes de la firme de Kyoto. Et autant je ne sais pas ce qui va changer pour Zelda dans 5 ans, autant je pense que c'est du coté de Mario Kart qu'il faut regarder maintenant. En effet, la formule n'a pas trop changé depuis longtemps, et la version Switch est une adaptation de la version Wii-U de 2014. Bien que je ne doute pas que Nintendo puisse faire des choses avec la licence, je pense qu'il est probable à terme d'avoir un éditeur de circuit simplifié (voir purement 2D). J'imagine qu'il serait possible d'avoir un outil pas trop complexe pour tracer en 3D un chemin, puis de rajouter un style de route sur des portions, avec le décor et/ou un choix de sprites. Ensuite, il ne reste plus qu'à remplir la piste de pièges, et voila.

On verra si l'avenir me donne raison.

1

Dans le même genre, je pointerais Zelda Minish Cap et le boss Mazaal (et sans doute Wind Waker, mais j'attends d'y jouer pour lire plus).

2

Un choix qui a été esquissé dans Fire Emblem Fates, mais abandonné dans Fire Emblem Engage.

3

C'était d'ailleurs l'idée d'origine de Zelda 1 sur NES, si j'en croit ce documentaire.

4

Bien qu'ayant proposé divers accessoires (Satellaview, Randnet), c'est à partir de la Wii que le support du 802.11b (wifi) était présent de base.