Découplé, libéré, c'est exactement comme SaTC
Pour des raisons sans doute plus mercantiles que sociales, Netflix a sorti coup sur coup plusieurs séries centrées sur des thèmes LGBT. En avril 2022, on a pu découvrir Heartstopper, puis First Kill en juin, et finalement Uncoupled en juillet. C'est de cette dernière dont je vais parler, mais je vais d'abord revenir sur les 2 autres pour le contexte.
Commençons par Heartstopper, première de ma liste et grand succès pour Netflix. La série est tirée d'un roman graphique pour jeunes adultes et raconte l'histoire de deux étudiants dans un lycée britannique et comment ils tombent amoureux. Même si mon échantillon très réduit de reviewers m'en a dit du mal, il faut reconnaître que le panel entier de 1 personne a regardé jusqu'au bout la saison 1 et a lu la BD. Je ne me souviens plus des critiques exactes, mais visiblement le fait que Netflix a renouvelé le show pour une saison 2 indique que le public n'a pas suivi Reviewer 1.
Puis Netflix a publié First Kill, une romance entre une vampire et une chasseuse de vampire, toutes les deux lycéennes. Contrairement à Heartstopper, la série n'est pas renouvelée pour une seconde saison au grand dam des lesbiennes autour du monde. Je suis bon public, j'ai donc tout regardé tout comme Reviewer 1. Nous sommes arrivés rapidement à un consensus sur le fait que la musique est bien, mais le scénario est en carton même si ça reste charmant. Verily Bitchie a quand à elle un avis plus tranché sur le sujet dans sa vidéo sur le sujet.
Et donc c'est dans ce contexte que Netflix a publié Uncoupled en juillet 2022. La série raconte l'histoire de Michael, un agent immobilier vivant à New York, et sa rupture avec son partenaire Colin après 17 ans de vie commune. Durant les 8 épisodes, on voit le héros quadragénaire essayer d'explorer le monde moderne des rencontres amoureuses. Et si ça vous rappelle Sex and the city, c'est normal car c'est le même scénariste pour les deux, Darren Star.
Reviewer 1 n'a pas aimé au point de ne regarder que deux épisodes. Moi même ayant à la foi un goût moins raffiné en terme de show, et une tendance à vouloir finir les histoires et ne pas sauter de scène durant un film, j'ai regardé jusqu'au bout de la saison, et je doit reconnaître que je suis d'accord avec les critiques, à savoir que ça commence un peu mou, mais que ça se laisse voir. Contrairement à Heartstopper, j'ai aussi pris l'avis de Reviewer 2, qui m'a dit qu'elle a aimé.
Personnellement, j'ai un certain nombre de reproches à faire. Pour commencer, tout comme la plupart des séries à New York, ça semble assez détaché de la réalité. Par exemple, l'épisode 7 voit les protagonistes aller à un week-end de ski gay, et il y a des mecs gays partout y compris dans le personnel de l'auberge (comme on voit dans une scène où Billy Burns drague l'employé à l'accueil). L'épisode 5 commence par une scène où deux personnages se rentrent dedans, et comprennent d'un regard qu'ils sont tout les deux gays. Je comprends bien que ça soit une fiction, mais ça me semble tellement différent de ma vie que j'ai du mal à y croire. Pas de question de coming out, la question des IST est rapidement mise sous le tapis quand c'est discuté, et je crois qu'il n'y a pas le moindre signe d'homophobie nulle part.
Et si ce n'était que ça, ça pourrait passer car c'est une fiction, ça a le droit de ne pas être réaliste, et je peux comprendre le désir d'avoir un monde où l'homosexualité est normalisé.
Mais c'est aussi un monde où il y a aucune lesbienne visible (à part vaguement un couple de femmes qui dansent à l'épisode 8 dans le décor), et aucune personne trans visible, sauf si on compte la mention d'un des enfants de Claire qui est NB. Et il y a assez peu de personnages féminins à part Suzanne, la collègue de Michael et Claire, sa cliente. Les deux sont des personnages relativement secondaires et même si elles ont un arc de l'histoire, ça reste mineur. Et tout ça m'amène au point de la bisexualité et sa représentation dans la série.
En 1998, Sex and the City n'était pas vraiment progressiste sur les questions LGBT. Même si Lucy Mangan écrit dans le Guardian que Sex and the City était l'histoire de 4 hommes gays écrit comme des femmes, ce n'est pas vraiment l'origine de la série qui est inspiré d'une vraie série d'articles dans le New York Observer. Je n'ai pas revu la série depuis longtemps, mais j'ai des souvenirs de stéréotypes assez marqués pour le personnage de Stanford Blatch (joué par feu Willie Garson), ce qui n'était pas étonnant pour l'époque1.
Les déficiences sur le sujet sont largement documentées, et sur le sujet de la bisexualité, c'est souvent l'épisode 4 de la saison 3 qui est pointé du doigt. On y voit Carrie être en couple avec un homme bi avec qui tout va bien, et finalement, elle décide de rompre car elle pense qu'il est en fait gay. Pour remettre dans le contexte, l'épisode a été diffusé en juin 2000 et sans doute écrit fin 1999, soit moins d'un an après l'adoption du drapeau de la fierté bisexuelle qu'on connaît en 1998 et 5 ans avant l'étude controversée sur la bisexualité masculine de Bailey. La scénariste de l'épisode est Jenny Bicks, donc je suppose que l'épisode ne fait qu'exprimer les anxiétés féminines de l'époque sur le sujet, surtout alors que le militantisme bi venait de démarrer au pays de l'oncle Sam. Et il faut reconnaître que 21 ans après, c'est encore des peurs que je croise en France.
À contrario, Uncoupled aborde de front les questions de la communauté gay, et un personnage officiellement bi apparaît dans l'épisode 3, Paolo Forella. Joué par Gilles Marini, un acteur français, Paolo est un riche homme d'affaire italien qui visite New York pour la journée pour acheter un pied à terre. L'épisode commence avec Michael et son gang dans une boite de nuit baignée par un effet bisexual lightning des plus prophétiques. Ses amis arrivent à le convaincre de s'inscrire sur une application de rencontre, l'emblématique Grindr, et tout l'épisode va tourner autour de l'application et de l'importance des photos. Dans la séquence de la visite d'appartement (vers 16:40), Paolo flirte un peu avec Suzanne qui s'est habillée pour l'occasion, mais demande à voir les photos des appartements pour faire son choix, ce que je voit comme une métaphore sur l'usage de Grindr, métaphore d'autant plus intéressante qu'une photo du pénis de Michael apparaît par erreur (Michael ayant pris la photo pour son compte Grindr). Personne ne réagit immédiatement, et un second appartement est visité hors champ.
À la sortie, Paolo continue à se montrer galant pendant que Suzanne lui fait du rentre dedans avec semble t'il du succès. Puis une notification Grindr apparaît sur le téléphone de Michael pour "ItalianBiBusinessman", et on comprend qu'il s'agit de Paolo. Michael apparaît surpris que Paolo ne soit pas hétéro, une réaction criante de réalisme vis à vis de la bisexualité. La séquence se termine avec Paolo et Michael qui prennent la tangente, et Michael va rejoindre Paolo à son hôtel. Paolo explique qu'il ne fait pas de hookup en Italie, mais quand il est à New York, il en profite. Au début, Michael n'est pas sûr, Paolo dit "pas de souci" et change de chemise. Mais une fois qu'il est torse nu, Michael change d'avis et ils font l'amour (hors champ). Une discussion sur l'oreiller s'en suit et Paolo lui propose de prendre une dick-pic parfaite pour l'aider avec Grindr. Et l'épisode se termine sur une dispute entre Michael et Stanley car Michael estime que Stanley l'a trahi en ayant vu son ex-copain à un dîner la veille. Michael part après avoir demandé à Stanley de choisir.
Je trouve l'épisode particulièrement intéressant et je vois 2 angles d'analyse sur la bisexualité.
Le premier qui me vient à l'esprit est vis à vis du thème récurrent de l'épisode, le choix. Michael se retrouve à devoir choisir entre aller ou pas sur les applications de rencontres, applis qui sont quand même symboliquement lié à l'abondance et donc au fait de faire son marché, donc choisir. Puis il doit faire un choix pour sa photo et son nom sur l'application ce qui revient à symboliquement choisir une identité. Paolo doit choisir un appartement parmi 2 propositions, et l'épisode se termine avec Stanley qui est sommé de choisir entre Colin et Michael. Mais le choix est aussi symboliquement lié à la bisexualité via les injonctions de la société à être monosexuel, et c'est pour ça que je trouve d'autant plus intéressant que le seul personnage ouvertement bisexuel soit dans cet épisode. L'épisode se termine d'ailleurs sur une scène où le refus de Stanley de faire un choix aboutit à ce que Michael le fasse pour lui. On voit donc que le fait de ne pas choisir n'est pas vu comme une réponse possible, ce que je vais mettre en parallèle avec l'occultation de la bisexualité dans la société (et la disparition de Paolo de la série pour le moment).
Le second angle d'analyse est la construction de l'altérité. Paolo vient de Rome et parle avec un accent italien. Il explique que quand il est à Rome, il ne fait pas de rencontres comme à New York (sous entendu des hookups avec des hommes). Il est récemment divorcé avec 2 enfants, donc on suppose qu'il avait une vie de famille plus ou moins rangée avant et sans doute hétérosexuelle. Tout comme d'autres séries (Lucifer par exemple), le bisexuel est textuellement présenté comme étranger par le biais de son accent, de son origine et de ses manières. On ne sais pas pourquoi il a divorcé, mais comme il parle de hookups quand il voyage, on peut supposer que les questions d'adultère en sont la cause, ce qui fait de lui quelqu'un de trompeur et d'infidèle, un stéréotype courant qu'on retrouve attaché aux personnes bies. Et la séquence de flirt avec Michael et Suzanne renvoie également à un autre stéréotype, à savoir l'hypersexualisation. Dans la discussion post coït, on peut aussi voir qu'il est présenté comme raffiné (ce qui appuie l'altérité) et expert en sexe (ce qui appuie l'hypersexualisation) vu qu'il propose de faire une photo du pénis de Michael et qu'il arrive à le refaire bander pour la pose. Dans le monde gay d'Uncoupled, le bisexuel est textuellement là pour du tourisme (càd faire des visites et prendre du plaisir).
Je suis assez partagé sur la représentation dans l'épisode. D'un coté, contrairement à Sex and the city, il n'y a pas de remise en cause de la bisexualité, et étant européen, je trouve plutôt flatteur d'avoir choisi cet acteur pour le rôle. Paolo fait preuve de tendresse et de respect avec Michael, et je trouve ça positif. Et de surcroît, ce n'est pas le plus hypersexualisé des personnages, car Billy est beaucoup plus porté sur la chose (et ça lui retombe dessus dans l'épisode 8).
De l'autre, les stéréotypes ont la vie dure, et la bisexualité n'est là que pour servir les rouages de l'histoire via la surprise plutôt que d'être une véritable représentation. C'est d'autant plus dommage que dans un monde rempli de mecs gays, il n'y a vraiment que des mecs supposés monosexuels mais non monogames, alors qu'il aurait été facile de mettre une ou deux phrases sur la question de fluidité chez les hommes. À la place, on a juste une séquence dans l'épisode 7 sur la fluidité, et on peut noter que la question du lesbianisme n'apparaît qu'au moment où les 3 acteurs principaux sont hors de NY pour le temps d'un week-end au ski.
L'épisode 7 est à mon avis aussi intéressant à analyser. Contrairement aux autres épisodes, on retrouve 2 fils de l'histoire. D'un coté, on voit Michael et son gang partir pour un week-end au ski, et on suit la descente de ce dernier. Ce n'est pas qu'une métaphore car l'histoire démarre littéralement par un chute à ski de Michael dans une descente. Puis Horst lui parle de son ex ce qui fait sombrer Michael dans une spirale d'anxiété. Puis il se retrouve à descendre quelque verres (3), puis Horst lui procure encore des photos qui re-alimente son anxiété et fait que Michael boit encore plus. Et finalement il se retrouve à vomir dans un bain à remous, puis tombe sur le sol et se blesse au visage. Il y a sans doute plein de choses à dire sur la symbolique (et sur le retour des lumières bleues et roses avec Horst et son accent allemand), mais c'est l'autre fil de l'épisode qui m'intéresse.
Celui ci démarre au même endroit que le fil avec les hommes, à savoir devant l'immeuble de Michael. Claire y croise Suzanne, et après une discussion surprenante sur la question du lesbianisme (et pas de la bisexualité), elle s'invite a la soirée que Suzanne a prévu avec son amie Mia. Le passage est assez curieux, car on y positionne le lesbianisme comme un choix expliqué par une détestation des hommes, et Suzanne positionne la fluidité sexuelle comme étant cool. Je trouve encore une fois un peu dommage qu'on parle de fluidité et pas de bisexualité, mais c'est l'intention qui compte. Durant la suite de l'épisode, les 3 femmes arrivent à rentrer dans un club select, font la fête en buvant et en prenant de l'ecstasy. Le barman (Trey) flirte avec Suzanne et finalement, Claire embrasse Suzanne pour se venger de son ex-mari qui est présent aussi à ce moment.
On voit donc ici à nouveau deux représentations de la bisexualité, chacune entachée d'un stéréotype différent. La première est quand Claire embrasse Suzanne. Comme le but est de se venger de son mari, ça renvoie au stéréotype de la bisexualité pour aguicher un homme, même si le but n'est pas de le séduire dans ce cas précis. Mais c'est surtout une réaction sous l'effet de la drogue et de l'alcool dans un lieu festif, ce qui place la bisexualité comme étant encore une fois comme symboliquement hors du monde normal, le truc qu'on fait pour s'amuser mais pas sérieusement.
La seconde est quand Suzanne et Trey discute, et qu'il explique qu'il flirte avec tout le monde dans le bar, y compris un client, car ça fait parti du boulot. Il n'est pas clarifié si il est vraiment bisexuel, mais la fin de la séquence laisse croire qu'il serait ok pour coucher avec la mère de son meilleur pote, ce qui positionne les personnes bies comme hypersexuelles. Et bien sûr, si il fait ça pour le boulot, alors ça positionne sa bisexualité comme étant un jeu d'acteur tout comme le ferait un travailleur du sexe2, ce qui renvoie encore une fois la bisexualité à une performance plutôt qu'une orientation sexuelle qui existe.
Du point de vue des représentations de la bisexualité, je trouve le bilan un peu moyen, même si ça n'est pas la catastrophe des années 2000. Et pour revenir sur la série, ce n'est pas tant que la série parle de mecs gays extrêmement bourgeois dans New York qui me dérange, mais plus le modèle isolationniste et la quasi autarcie gay à l'écran. Dans le monde réel, je pense que chaque lettre de l'alphabet ne reste pas avec son groupe uniquement, et qu'en 2022, on peut sans doute faire changer au moins ça. Je ne connais pas tant de mecs bis que ça, mais je suis globalement couvert sur le reste entre le travail et les gens autour de moi. Et je ne sais pas si c'est un reflet du groupe de scénaristes (qui sont pour la plupart des hommes gays d'après wikipedia) et des acteurs masculins (pareil, gays pour la plupart), ou si c'est une illustration du concept du mouvement GGGGG de Shiri Eisner3.
On verra si la série est renouvelée pour une seconde saison, surtout après les 2 cliffhangers à la fin de l'épisode 8. Et on verra la réaction de la communauté, surtout après ce qui est arrivé à First Kill.
Un jour, je parlerais de mes souvenirs de Will dans Will and Grace et son impact sur l'acceptation des personnes LGBT, mais pas aujourd'hui.
Je pense spécifiquement à la dernière vidéo de Verily Bitchie sur le sujet du travail du sexe dans les médias
Chapitre 8 de "Bi"